Cannon Fodder (Super NES, 1994)

La découverte, la passion éphémère et l’oubli prématuré.
Coucou ! Qui aime les chansons ici ? Allez c'est parti ! Dans ma ville d’enfance, il y avait une maison. Hiia-hiia-Ho ! Dans cette maison, il y avait une chambre. Hiia-Hiia-Ho ! Et dans cette chambre, il y avait un cousin. Hiia-Hiia-Ho ! Et dans ce cou… euh non. Et jamais très loin de ce cousin, trônait une Super NES agrémentée d’une ludothèque quasi infinie renfermant des cartouches toutes plus merveilleuses les unes que les autres dont je rêvais de posséder l'usufruit un joooour. HIIA-HIIA… allez chut maintenant. Et dans le rayon nouveautés lors de l'une de mes venues : Cannon Fodder. Ça veut dire quoi ? Aucune idée, j’apprendrai le terme dix ans plus tard, au bas mot. Mais il y a canon dedans, alors c'est forcément trop cool. Je me souviens d'une session en particulier, probablement la seule à laquelle j'ai pu assister. Je venais dormir, et on n'a fait que de charbonner sur ce seul jeu. Je pense qu'on avait bien avancé, en geekant comme des petits fous jusqu’à quatre heures du matin (rapportées à vingt-deux heures quarante-cinq en timing d’adulte). On ne devait pas se trouver loin de la fin, parce que ça devenait quand même super difficile. Enfin voilà, du peu que j’ai aperçu, j’ai beaucoup aimé. J’ai adoré, même. Visiblement pas assez pour apprendre qu’il existait aussi sur Mega Drive, et que j’aurais pu me le prendre pour moi tout seul. Combien de fois ma flemme et mon manque de curiosité m’ont infligé ce genre de désagrément, sérieux ? J’ai pourtant toujours voulu me replonger dans ce titre, pour de nouveau m'imprégner de ce moment super appréciable mais bien trop court, durant lequel on a envoyé notre petite escouade éclater ses ennemis. Je ne l’ai jamais fait, évidemment, comme pour tant d'autres jeux avant lui. Aujourd’hui, je répare cet affront. Plus ou moins, à peu près.

Réappropriation du jeu
Alors… à quel genre rattacher Cannon Fodder ? Stratégie (pour le côté vue isométrique), Action (pour le côté non construction de base), Temps Réel (pour le… nan mais je ne vais quand même pas expliquer ça). Ajoutons Shoot Tactique et un petit “de Guerre” à la fin pour se la raconter un peu. Un SATRSTG, donc. Parfait, le MEUPORG peut rentrer au vestiaire. Mine de rien, on n'avait pas l'habitude de ce genre de caméra sur console. À quoi ça me fait penser, à part la moitié gestion d'ActRaiser ? À Syndicate ? SimCity ? Gauntlet ? Tous les Zelda plus ou moins filmés du dessus ? Populous aussi. Ah oui, ça fait un paquet quand même. Mais revenons au SATEURSTEAAGUE qui nous intéresse ici. On y dirige une cohorte de soldats à travers une longue série de missions, dont les objectifs varient entre flinguer tout le monde, et ne laisser personne d’autre en vie que les arbres ou les oiseaux. Nos recrues se déplacent sur un terrain souvent plat mais très hostile, tirent à l'arme automatique, et peuvent aussi lancer grenades ou roquettes. Nos ennemis savent plus ou moins faire pareil, à ceci près qu'ils réagissent et tirent beaucoup moins vite. Pour compenser, ils se déploient en grand nombre, et trucident tout aussi facilement nos combattants chéris s'ils parviennent à les toucher. Voir un frère d'armes (parce que je ne crois pas avoir vu de nom féminin apparaître dans la liste) mourir au combat, signifie qu'on ne le reverra plus jamais par la suite. Il faudra recruter quelqu'un d'autre à sa place lors de la mission suivante. Pas de souci, Il y a plein d'apprentis troupiers désabusés qui attendent leur conscription entre les stages. Si on ne perd pas trop d'effectifs à chaque fois, j'ai l'impression que leur nombre augmente assez vite. Au pire, si on a peur de se faire décimer d'un coup, on nous offre la possibilité de scinder notre régiment en groupes plus petits, voire de sélectionner un seul soudard, qui marravera tous les ennemis sans rien laisser à ses potes, ou au contraire se fera exécuter direct, mais sans embarquer ses alliés avec. Tout dépend la facilité avec laquelle tout un chacun dompte la jouabilité, que j'ai trouvée affreusement cruelle.

À la base développé pour l’Amiga 500, je suppose que l'on dirigeait la brigade au clavier souris. Parce qu'à la manette…ouloulouh, ça se complique pas mal. La croix directionnelle sert à déplacer un curseur à l'écran. Appuyer sur une touche fait trottiner nos effectifs vers le curseur. Appuyer sur une autre les fait tirer, toujours dans la direction du curseur. On peut donc canarder les alentours tout en se déplaçant, donnant lieu à de jolies phases de gameplay. Quand on maîtrise en tout cas, ce dont on ne pouvait clairement pas se targuer, mon cousin et moi. J’imagine que cette double mécanique devient nécessaire pour passer les missions les plus compliquées. Je me souviens qu'on galérait en particulier sur le lancer de grenades, seule manière de détruire les cabanes en bois d'où sortaient des ennemis à l'infini. On ratait la cible deux fois sur trois et on finissait à sec, dans l'impossibilité de valider la mission. Dommage, parce qu'on n'a pas eu l'occasion de découvrir toutes les petites subtilités qu'avait à nous offrir Cannon Fodder. Et par subtilités, je parle bien sûr de gros hélicos armés de lance-missiles, de jeep blindées sauteuses, ou de gros tanks capables de raser des bases entières en même pas deux minutes. Enfin moi je n'ai rien vu de tout ça, lors de cette frustrante mais néanmoins très sympathique soirée. Mon cousin a sûrement réussi plus tard, bien tranquille sans un noob de deux ans plus jeune que lui pour lui pourrir ses parties.

Par contre, je ne me rappelais plus d'un rythme aussi dynamique. J'avais gardé en tête cette impression de lenteur, au moins aussi exaspérante que les robots apathiques de Z, alors que rien à voir. En fait, ça bouge bien ! C'est réactif et tout, à part dans l'eau, qui nous interdit aussi de tirer ; j'avais peut-être fini par considérer que l'intégralité des stages nous empêchaient de marcher à vitesse décente. Non, ils nous pénalisentjuste par leur configuration plutôt labyrinthique, nous poussant à explorer plusieurs voies sans issue pour débusquer d'éventuels poltrons qui auraient cru pourvoir nous échapper. Bon, il y a aussi des niveaux plus ouverts, des parcelles surélevés, des murs destructibles qui ouvrent des passages… et de bien jolis décors. Je pense qu'on peut affirmer que les graphismes ont bien vieilli, sans risquer de perdre son statut d’individu raisonnable aux yeux du grand public. Ou alors j'ai un avis complètement biaisé par la vue isométrique et je déblatère un ramassis de sottises. Mais en plus des régions de forêt / jungle / zone semi-humide, j'aimais aussi beaucoup le terrain aride. Bien chaud, bien terracotta, et bien inconnu de moi à neuf ou dix ans, comme quoi je n'ai pas dû aller bien loin dans ce jeu. Mais rien, rien n'égalait la feature ultime à mes yeux. RIEN, VOUS M'ENTENDEZ ? Je parle des rangs que gagnent nos petits protégés en fonction de leur valeur au combat. À l'instar de Fire Force, où ça me rendait dingue aussi, ça ne sert visiblement à rien d'autre que faire classe. Même si quelques théories plus ou moins complotistes circulent en ligne dans telle ou telle review. Mais rien que de voir les petits pixels d'écusson de grade se changer en d'autres petits pixels lors de l'écran de fin de mission, ça me donnait une furieuse envie de garder mes troupes en vie à tout prix. Quelqu'un a compris cette phrase pas claire du tout ? Désolé, l'émotion.

Si j'avais déjà capté via les dessins cartoons de la boîte que le jeu ne se prenait pas hyper au sérieux, j'ai récemment appris (en écrivant cet article, en vérité) qu'il adoptait un ton résolument anti-guerre tout du long. Ah bon ? J'avais plutôt vu Cannon Fodder se situer dans la même veine que le premier Command & Conquer, qui sans aller jusqu'à glorifier les conflits armés, transmet via les corps hurlant de douleur et les explosions de tanks mammouth une certaine joie de vivre. C’est paaaas hyper explicite en vrai, ce ton pacifiste de Cannon Fodder. Surtout quand on ne comprend rien aux messages écrits en anglais. Et puis sur SNES, on n'a pas droit au disclaimer de l'Amiga : “This game is not by any way endorsed by the Royal British Legion…”, qui ne m'aurait en rien aidé à saisir l'humour à l'époque, certes. Apparemment, la Royal British Legion avait fustigé ce jeu avant sa sortie en le traitant d’aberration et autres termes fleuris, aboutissant à l'affichage de cette pique passive-agressive. D'ailleurs, le jeu a divisé bien au-delà de cette branche armée sur le sujet dès sa sortie. Il y avait les gens très intelligents qui avaient bien lu entre les lignes en captant tout des vraies intentions des développeurs, et les gens très intelligents qui avaient bien compris que l'humour de façade ne suffisait pas à prôner la paix dans le monde. Source ? Euh, internet, Google, des clics sur des liens hypertexte au hasard. Des trucs fiables, quoi ! Il y avait aussi les gens pas intelligents qui butaient tout le monde en ricanant comme Beavis et Butthead. Mon cousin et moi, par exemple. Il paraît en outre qu’en Allemagne, le gouvernement a inscrit Cannon Fodder sur une sorte de blacklist qui en interdit la vente aux mineurs, bannit sa promotion sous quelque forme que ce soit, et empêche sa mise en place sur les étagères de revendeurs. Rien que ça. Tiens, il y a Blood dedans aussi, huhuhu. Mais pas Command & Conquer. Bizarre. Je laisse aller voir ceux que ça intéresse à cette adresse. C’est rigolo. Bon, en fait, il fallait y aller fort pour ne pas voir la moindre once d'autodérision là-dedans. Du côté des noms des soldats, par exemple, dont certains s'appellent comme les vrais gens figurant dans les crédits, qui portent eux-mêmes des pseudonymes (en tout cas j’espère pour eux). Mais on ne regardait jamais les crédits, sauf si on ne pouvait pas les passer. Il existe une sorte de défi amusant parmi les vieux joueurs de la première heure, qui commentent çà et là sur internet : parvenir à garder Jools en vie, le tout premier soldat que l’on dirige, du début à la fin de l’aventure. Je veux bien rigoler avec eux, maintenant que j’ai vu un longplay sur YouTube et que j’ai capté leur blague. Vont-ils m’accepter dans leur cercle très fermé ?

Nouvelle plongée dans l’OST
Je me renseigne cinq minutes, et je trouve le nom de Richard Joseph aux commandes de la B.O. Je prends un peu peur, parce que le mec a aussi délivré les musiques de James Pond 2, qui sortent quand même tout droit du dernier cercle de l'enfer sonore. Tiens, je connais aussi Rise of the Robots sur son CV, mais là je ne me souviens d'aucun morceau. Juste si ça sonne aussi mauvais que le gameplay, ça ne vaut pas la peine d’écouter. Le nom de Jon Hare revient également en tant que compositeur, alors je comprends plus vraiment. Mais là j'ai plus le temps. Concernant Cannon Fodder, énorme douche froide, car on n'entend pas la moindre note de musique durant les phases de jeu. Dommage, surtout sur SNES, le délire second degré du jeu aurait bien convenu à ses sonorités rondelettes. Il n'existe pas un seul jeu où je trouve intéressant de ne jamais avoir de son pendant l'action ; à part Populous et son battement de cœur si anxiogène, peut-être. Alors, qui s'occupe du portage de cet album sans la moindre compo associée aux stages ? Allister Brimble, que je commence à connaître à force de fouiner. Je lui avais déjà envoyé tout plein de cœurs en apprenant qu'il avait réalisé la musique du génialissime Mortal Kombat sur Game Gear. Il a aussi pianoté quelques trucs sur Roller Coaster Tycoon, et livré un travail très prolifique sur Game Boy Advance (là je n’ai pas de réfs à balancer, en gros ignare de cette console). Elle me fait marrer cette O.S.T. Il n'y a pas plus incohérent et patchworkesque. La musique de victoire sort tout droit d'une attraction claquée au sol de Theme Park, celle de la cutscene présentant la mission à venir se prend pour une rockeuse badass vénère qui rappelle forcément Jungle Strike, et le thème de débriefing, listant victimes et promotions au grade supérieur, efface toute trace de joie sur notre visage avec sa mélancolie tristounette. Mais la palme du délire revient à l'intro. Déjà, un seul mot : reggae. RE-GGAE ! Du reggae pour présenter un jeu de guerre. Mais qui aurait osé, sans craindre de passer pour le pire bouffon de la planète ? Précisément les gars de chez Sensible Software. Mais en plus, ils ponctuent leur morceau par les voix in-game de soldats qui crèvent et de missiles qui explosent. Ouahahaha ! Tellement nul que ça en devient plus que parfait. Si avec ça on ne comprend toujours pas que Cannon Fodder se voulait pacifiste…
Cannon Fodder - Title
Regrets ou pas ?
Voilà le genre de jeu que j'aurais beaucoup aimé terminer, et qui m'envoie des petites piqûres de rappel de temps en temps. Je les refoule évidemment au plus profond de mon diaphragme, même si au final elles gagnent quand même, vu qu'elles m'ont poussé à écrire ce texte. J'ai raté de sacrées tranches de kiffance, en ne pilotant jamais l'hélico, en ne détruisant jamais de forteresse ennemie avec le tank, ou en ne me prenant pas dix fois le même bosquet dans la tronche au volant du… euh, motoneige blindé ? Il avait l'air chaud à conduire, celui-là. En tout cas, encore une cartouche qui m'aura fait rêver très longtemps pour un temps d'utilisation très réduit. Tout ce qui ornait la chambre de mon cousin dégageait tellement de magie, j'aurais pu y installer mon lit et habiter là pour toujours. J'aurais juste amené ma Mega Drive en plus, et mon cousin m'aurait foutu dehors en cinq minutes. OK, retour à la case départ. Le destin refuse que je touche à une Super NES plus de deux heures par semaine, d'accord. Rah, mais non ! Il était cool, mon cousin. Ses parents aussi. Ma mère répétait tout le temps qu'ils ne faisaient que gâter leur fils et son petit frère, qu'ils n'avaient aucune autorité sur eux. Faux ! Enfin peut-être pas sur la partie “enfants gâtés”. Mais les parents de mon cousin savaient surtout se faire respecter sans terroriser ou humilier leurs gosses. Ils leur offraient des jouets pour leur faire plaisir, pas pour acheter leur silence ou se donner un moyen de les faire chanter plus tard. T'aurais dû t’élever à leurs côtés maman, au lieu de les dénigrer tout en nourrissant une jalousie envers eux. Et t'aurais aussi pu m'acheter une Saturn ! Au lieu de rabâcher que les jeux vidéo ne faisaient que m’abrutir. Ils m'ont appris mille fois plus de choses que toi ! Tu te prends pour qui en fait ? Pour ma daronne ? Oulà, euh pardon, j'avais pas craqué à ce point depuis un bail. J’espère qu’il ne restait plus grand monde pour lire jusque-là. Cannon Fodder déchaîne chez moi bien plus de passion que je ne l'aurais cru. En même temps, qui ne tomberait pas amoureux de ses propres souvenirs, composés de multiples découvertes sur Super NES, à grignoter des Délichoc (de Delacre) ou des Graffiti (de Bahlsen), entouré de Dino Riders (de Tyco) et d’araignées (du jardin) ? Rien ne pourrait surpasser ça ! À part, euh… Cannon Fodder 2 ? Oh bordel, je sens que ça va me reprendre…
