Civilization II (PC, 1996)

La découverte, la passion éphémère et l’oubli prématuré.
Vu le nombre d'heures que j'ai passées sur ce jeu, il aurait dû figurer à une bonne place dans mon top nostalgique d'enfance. Pour une raison que je ne m'explique pas, j'ai assez peu de souvenirs de lui, même très peu, comparativement au temps que j'ai investi dedans. J'ai très longtemps rechigné à écrire dessus, aussi, comme s'il m'avait laissé un arrière-goût amer. Je l'ai adoré pourtant. Son contenu interminable m'a fasciné. Sa myriade d'options m'a obsédé, et j'ai vraiment beaucoup charbonné dessus. J'ai eu le même souci avec Wing Commander IV, et dans une moindre mesure C&C Alerte Rouge et Master of Orion II. Que des jeux écumés en 1996/1997. Ma mémoire fonctionne mieux pour des machins plus anciens, comme Jungle Strike sur Mega Drive, voire Psycho Fox sur Master System ou Lemmings sur Atari ST ! Si ça a un quelconque rapport avec mon beau-père, je préfère ne pas savoir d'où vient ce semi black-out. Cela dit, je me rappelle bien de pourquoi j'ai laissé tomber. Je voulais tellement tout construire partout que je me mettais à tricher. Comme dans Age of Empires, ça m'a totalement gâché mon expérience, et j'ai fini par tout abandonner. Ce civ là en particulier, mais aussi la licence entière, à laquelle je n'ai jamais retouché non plus. Je n'ai pas terminé énormément de parties, et encore moins de manière légitime, je me faisais toujours éclater avant. S'il y a donc bien un jeu qui mérite que je m'y penche à nouveau, c'est celui-là.

Réappropriation du jeu
Bon, je me rappelle tout de même qu'on a ici affaire au classique des classiques du genre 4X au tour par tour. Je me souviens aussi des débuts de partie dans l'Antiquité, et de l'évolution jusqu'à notre époque contemporaine (de moins en moins vrai pour l'époque contemporaine, mais ça se tient encore pas trop mal). La construction de villes sur une mappemonde divisée en tout plein de cases, l'édification de bâtiments dans chacune d'entre elles, la production d'unités, la recherche de technologies, les interactions avec les autres nations, les merveilles à afficher fièrement, et la bagarre, souvent inévitable, mais pas forcément nécessaire non plus. J'ai oublié… tout le reste ! À commencer par les nombreux types de terrain (plaines, désert, forêt, montagnes… etc.) et leurs spécificités, ainsi que les ressources que l'on peut parfois y trouver (poissons et baleines dans l'océan, faisans, gemmes ou bananes sur terre, parmi plein d'autres trucs). Il me semble que gamin, je fondais toujours mes cités près d'une rivière, et si possible pas trop loin d'une de ces icônes de matières premières, sans plus me prendre la tête que ça. Je ne me prenais la tête sur quasiment rien, en fait. J'y allais au feeling, en espérant produire à un rythme constant, en faisant croître ma population sans qu'elle ne se révolte, et en déboîtant mes ennemis grâce à une suprématie militaire indéboulonnable. Évidemment, ça ne fonctionnait jamais comme ça. Ce type de jeu requiert justement une prise de tête de haut vol, et moi, petit naïf trop confiant, j'ai tenté de faire sans, comme si je jouais à Heroes II ou même à Populous, tiens. J'avais bien succombé à l'addiction provoquée par le déblocage régulier de nouvelles options, via construction ou recherche, mais je n'ai jamais saisi les intrications complexes entre toutes les variables et conditions dont il faut tenir compte pour gérer correctement son empire.

Alors j'ai bien envie de reprendre du début, en suivant avec avidité la session de jeu d'un gars qui uploadé son parcours sur YouTube. En plus, il prend son temps, il parle doucement d'une voix posée, explique chacune de ses actions, et lit chaque article du Civilopedia quand il estime le timing pertinent. Parce que dans les années 90, il fallait se coltiner des dizaines de pages d'infos mi-culturelles, mi-indispensables pour capter comment ne pas s'autodétruire en moins de vingt minutes. Dans un jeu de gestion en tout cas, pas un plateformer, encore heureux. Comment on n'a pas tous fini à la NASA en jouant à Civ II mes potes et moi, sérieux ? Ah bah oui, parce qu'on ne les lisait pas, ces pages. Quoi qu'il en soit, je crois que le visionnage de ces vidéos a été l'une des expériences les plus apaisantes de ma vie. Ce mec a le pouvoir d'endormir une horde de danseurs surexcités (et bourrés de prods) en plein climax de festival techno, je vous jure. Et dans le bon sens du terme. De la vraie relaxation qui nous plonge dans du coton mental de luxe, pas une somnolence induite par un ennui à crever. Et ce gars de nous détailler pourquoi il ne faut pas forcément bâtir sa première ville dès le premier tour. Quand faut-il construire un temple dans sa capitale, et dans les autres cités. À quel moment changer de gouvernement, et lequel instaurer et pourquoi. Quelles recherches effectuer pour débloquer les meilleures unités le plus vite possible. Comment trouver le bon équilibre entre production alimentaire, militaire et infrastructurelle. Ouais j'emploie des mots compliqués, depuis que je le regarde, vu que je lis le Civilopedia avec lui. Comment étendre son territoire pas trop vite ? Comment marchander intelligemment avec les pays voisins, et quand leur sauter à la gorge ? Et franchement, je crois que j'ai presque autant aimé le voir faire que de jouer moi-même.

Je ne vais pas faire l'étalage de toutes les features disponibles et possibilités offertes par ce jeu de malade. Disons qu'au début, ça démarre plutôt tranquille, avec quelques colons, et des trucs à découvrir comme la roue, le travail du fer, la poterie. Ils sont mignons, nos petits habitants de l'Antiquité, avec leurs besoins rudimentaires. Puis on arrive à la Renaissance avec la chevalerie, la féodalité, ses mousquetaires (j'en produisais toujours des tonnes), l'astronomie… La Révolution Industrielle apporte la machine à vapeur, les chemins de fer ou le communisme, et enfin à l'époque moderne, ça se complique pas mal. OK pour la fission nucléaire, la réfrigération ou la production en série. Mais quand j'ai vu qu'on avait aussi accès à des trucs genre dérobade, guerre amphibie ou syndicat, j'ai vraiment compris que je ne comprenais rien. Pareil pour les Merveilles (dont certaines filent des bonus surabusés). La Pyramide de Gizeh, la Grande Muraille, d'accord. Le Barrage de Hoover et la Tour Eiffel… allez d'accord. Mais les Croisades ? C'est une merveille ça ? La société commerciale d'Adam Smith ? De qui de quoi ? Le droit de vote des femmes et le projet Mahattan ? Bon c'est marrant d'avoir un peu tout mélangé, au final. Ça participe aux aberrations qui pouvaient parfois se produire, comme une civilisation qui invente l'alphabet trois siècles après avoir découvert la physique et les cuirassés lourds. Ou une autre qui sait construire des frigos, mais guerroie encore avec des phalanges romaines. Trop rigolohohoh. L’interface complètement flinguée ajoutait une jolie couche de bazar à tout ça, et de charme inhérent aux bidouillages ergonomiques que seules les nineties savaient nous offrir.

Dans mes souvenirs, on avait vraiment pléthore de trucs à faire en permanence. Mais je ne me rendais pas compte à quel point je n'exploitais qu'une moitié du contenu et des features disponibles. Comme les caravanes et les diplomates que je délaissais toujours au profit d'unités militaires. Je n'ai jamais testé toutes les nations du jeu, vingt-et-une quand même, ni construit tous les bâtiments possibles à débloquer. Je pensais que, comme dans n'importe quel jeu de stratégie classique, il fallait simplement tabasser tous ses adversaires. Un jour, j'ai gagné sans même m'en rendre compte, parce que j'avais mis au point le programme spatial du futur qui nous embarque pour le système d'Alpha du Centaure. En 2020. Alpha du Centaure en 2020. Le futur, oui. Par ailleurs, jamais je n’ai eu le loisir de découvrir la troisième condition de victoire, à savoir obtenir le meilleur score parmi les nations encore débout… toujours en 2020. Ils avaient prédit le Covid chez MicroProse, ou quoi ? Et puis il y a toutes ces petites vidéos en résolution minuscule qui ponctuent l'aboutissement des Merveilles. Ça a beaucoup vieilli, rien ne me fait donc plus plaisir que de les revoir. Pour rester dans les vidéos, je ne me souvenais pas des membres du conseil non plus, ces cinq individus qui vous aguillaient selon leurs axes de prédilection, comme l'armée ou la science. Sans oublier les unités qui atteignent le statut de vétéran en remportant des batailles, les tribus de barbares qui vous harcèlent depuis la nuit des temps jusqu'à la fin de la partie… Et ce plateau de jeu, quoi. Je n'avais pas le souvenir de maps aussi riches en détails, j'étais même resté sur une impression de grandes zones plutôt vides. Mais pas du tout, ça reste d'ailleurs assez joli encore aujourd'hui. Pas dénué de cachet, du moins.

Nouvelle plongée dans l’OST
La musique nous vient d'un certain Jeff Briggs (et pas Bridges expldrrrrrr). Marrant de voir qu’il bossait chez MicroProse avec Sid Meier, et qu’ils ont quitté la boîte pour fonder leur studio de développement ensemble, avec un certain Bryan Reynolds (et pas Ryan mdrrrrrrrrr). Firaxis Games développe toujours les jeux Civilization aujourd’hui (entre autres XCOM et… bah des spin-off de Civilization). J'imagine que ça doit à peu près bien se passer pour eux. Bon et cette B.O. alors ? Déjà j'en ai zappé la moitié de ma mémoire, comme le reste. Mais celles qui ont incrusté durablement mon cerveau ont vraiment un petit quelque chose qui tarit ma soif de nostalgie à chaque fois que j'en écoute une. J'ai l'impression que ça se cantonne aux compos liées de près ou de loin à l'Antiquité, avec leurs instruments chelous et leurs mélodies primitives. Franchement, certaines auraient eu plus que leur place dans l'OST d'Age of Empires. À part lors de la construction de Merveilles, aucune idée de quand tel ou tel morceau se jouait. J'ai encore dû aller me renseigner, la flemme quoi. Pendant les interactions entre porte-paroles d'autres nations, lorsque l'on découvre une nouvelle technologie ? Ouais, des trucs comme ça. Pas du tout pendant les phases de jeu sur la mappemonde, par contre. Dommage, ça m’aurait beaucoup plu, d’écouter deux ou trois machins d’ambiance, un peu comme dans Master of Orion II, mais en moins dépressif SVP ! Franchement, des “Chemins Brillants” qui sonnent comme le titre que j'ai choisi pour accompagner ce texte, j'en emprunte tous les jours !
Civilization II - The Shining Path
Regrets ou pas ?
Ça m'embête un peu d'avoir autant oublié ce jeu mythique, mais je ne me vois pas forcément y rejouer non plus. Surtout que je n'aimais pas trop avancer dans les technologies. Une fois qu'on dépassait le Moyen-Age, en gros, je commençais à perdre de l'intérêt. Enfin je dis Moyen-Age, mais c'est la Renaissance, même si nos villes avaient plutôt la tronche de châteaux forts. Plus on se rapprochait de l’époque contemporaine, moins ça m’intéressait. J’aurais préféré un truc genre AoE. Un poil embêtant de se priver d'une bonne moitié du contenu. Peut-être vaut-il mieux chercher les causes de mes trous de mémoire dans cette indifférence aux découvertes modernes. Ça fait moins flipper que les dramas familiaux, en tout cas. Quant aux suites ? J'ai vu qu'elles reprenaient le même concept, de l'Antiquité au futur proche. Du coup je suis content que ça existe, mais je vais les regarder de loin. Possiblement en me laissant porter dans du coton par le même gars que j'ai regardé jouer à Civ II. Je vous jure, j'ai même lu dans les commentaires que des gens utilisaient ses vidéos comme berceuses. La jeu vidéo-thérapie a de beaux jours devant elle.
