Quand j’ai fait acheter ce jeu à mon père aux environs de 1993-94, je pensais faire l’acquisition d’Alex Kidd in Miracle World, titre qui m’avait fasciné à fond quand je squattais chez mes voisins super cool du Havre. Quand j’ai compris que je m’étais trompé, j’ai délaissé la cartouche avec mépris, tout en faisant croire à mon papa que j’adorais pour ne pas le vexer. Aveuglé par ma déception, je n’ai même pas pris la peine de profiter de cette petite merveille, alors qu’elle améliorait pas mal de points par rapport à son prédécesseur. J’y ai joué vingt minutes en tout, donc. Dommage, parce qu’en plus, ce fut notre dernier jeu de Master System. Je me rappelle de ce jour où, quelques années plus tard, j’ai allumé cette dernière une ultime fois, avec Alex Kidd encastré dedans. Là encore, j’ai juste trituré les boutons sans entrain, puis j’ai laissé mon papa ranger la console dans un placard au premier étage. Car en bas, installée devant la télé du salon, trônait déjà la rutilante PlayStation. Impossible de résister.
Allez, si on commençait par une histoire de meuf capturée à aller sauver, pour changer ? En 1990, ça ne dérangeait personne, même si les trois-quarts des plateformers nous offraient le même pitch de départ. Voilà donc notre petit homme-singe, mascotte semi ratée de Sega bien vite remplacée par
Sonic, parti à la recherche de sa petite amie au pays des Shinobis (clin d’œil même pas caché à la franchise
Shinobi, parce que les développeurs s’appréciaient mutuellement, sans doute). L’espèce d’entité divine qui veut l’aider à accomplir sa quête lui file donc de nouveaux pouvoirs. Terminé, le gros poing qui servait à tout fracasser dans Miracle World ! Alex a fait quelques courses pour s’acheter un katana et des kunais. Il peut aussi se changer en boule de feu en tournoyant autour de poteaux, lampadaires, barres de tractions… verticales ou horizontales. Enfin, il gagne le pouvoir de se métamorphoser en tornade crachant d’autres tornades. Parce que quitte à faire dans la surenchère, autant assumer à fond.

Le gamin (qui ne doit plus être si gamin que ça, vu qu’il a une copine), traverse pas moins de quatre niveaux gargantuesques, eux-mêmes divisés en trois stages, dont le dernier de chaque abrite le boss dans une simple pièce de la taille de l’écran. Bon, pour le gargantuesque, on repassera. Le jeu se termine hyper vite, deux fois plus vite que son aîné, je dirais. Bien que le gameplay ait gagné quelques options, elles ne servent souvent juste parce que le level design nous oblige à utiliser telle action à tel instant et pas ailleurs. On dit aussi au revoir aux accessoires comme la moto ou l’hélico à pédales, et la possibilité d’acheter des items via de l’argent récupéré pendant l’aventure. Dommage, en général, une suite ça ajoute du contenu, pas l’inverse. Pour ne rien arranger, le réel côtoie ici le très bizarre, voire le complètement aberrant. Prenons les boss, par exemple : un ninja grabataire qui rétrécit quand on le tape, une sculpture maya volante qui crache des hélicos, un homard qui produit des potatoes à la chaîne, et enfin le némésis ultime, kidnappeur d’adolescentes mi-singes mi-humaines, sorte de mime marceau encapuchonné dans un K-way bleu Décathlon. Et à part ce dernier, les machins sont limites plus faciles à battre que les ennemis normaux.

Et pourtant… j’en aurais bien redemandé un peu plus. Car même si les décors donnent souvent une impression de vide ou de manque de diversité, même si les adversaires que l’on affronte sont cons comme la pluie, ça fonctionne. Il y a un truc dans l’ambiance, dans les graphismes ou dans autre chose de plus subjectif, comme le fait de vouer un culte à la nostalgie procurée par la Master System. Un simple type de coffre renfermant un bonus, un bout de plateforme métallique, le design des immeubles en fond… rien que des textures à deux pixels comme ça peuvent suffire à arracher quelques larmes d’émotion sur la gloire du passé. Et je trouve que la vieille console de Sega procure ce genre de sentiments comme aucune autre machine. Mais bon, je n’ai pas les idées claires quand je mets à digresser de la sorte. Il y a enfin ces petits détails, qui pourraient passer pour un hommage ou du plagiat, selon notre humeur, comme par exemple les gouttes qui tombent du plafond dans la grotte et qui rappellent Rick Dangerous. Plus flagrant encore, les blocs de pierre dotées d’un visage colérique qui tombent à la verticale et remontent lentement, avec une expression soulagée, dans le plus pur style de Mario. C’est dingue ce qu’on peut trouver à raconter sur un petit jeu vidéo à moitié mal foutu et bouclé en vingt minutes, secrets compris.

Nouvelle plongée dans l’OST
Un peu galère de trouver qui a travaillé sur la B.O. Visiblement Tokuhiko Uwabo n’a pas rempilé après avoir tafé sur Alex Kidd in Miracle World (et comme
Castle of Illusion sortait la même année que Shinobi World, peut-être qu’il y a un lien). Bref, il semblerait que la composition soit revenue à Tadahiko Inoue (surnommé XoR dans les crédits), qui n’a pas fait grand chose d’autre dans le domaine (Strider sur Megadrive, quand même, mais en tant que sound designer). Et bah moi je comprends pas ! Autant j’adore le boulot de Uwabo, autant ce qu’a fait Inoue sur Shinobi World, ça envoie tellement ! Les mélodies nous emportent avec allégresse dans les stages bigarrés du jeu, faisant écho aux tronches souvent hilares des monstres rencontrés sur la route. La richesse des morceaux contraste avec l’ambiance un peu sombre et morne des décors, et ça sauve tout.
Alex Kidd in Shinobi World - The Jungle
Regrets ou pas ?
Je ne vais pas engueuler mon moi enfant de l’époque, qui a préféré aller jouer à Resident Evil sur PlayStation, plutôt que de persister sur un vieux titre de 1990, aussi attachant soit-il. J’aurais pu prendre un ton paternaliste et lui mettre la main sur l’épaule en disant :”Profite autant que tu peux de la technologie 8-bits, mon petiot ; et surtout, garde précieusement la console bien au chaud, telle le plus beau témoin de cette époque désormais révolue.” Ouais, elle me manque cette bonne vieille Master System (elle a fini à la poubelle pour libérer de la place dans ce même placard où mon père l’avait confinée, snife). Elle aurait mérité un chant du cygne digne de ce nom, notamment avec une sympathique playthrough d’Alex Kidd au pays des Ninjas.