Je viens de mater Mektoub My Love - Canto uno ...
Sorti en 2018 et réalisé par Abdellatif Kechiche, Mektoub My Love - Canto uno est le premier film d'une trilogie filmée durant l'été 2017. Canto due est sorti seulement cette année, fin 2025, soit sept ans après le précédent et il y a encore un Canto tre qui est prévu pour une date encore inconnue. Et même qu'il y a eu un Intermezzo qui a fait scandale à Cannes en 2019 et qui n'a jamais eu de sortie en salles officielle (et qu'on ne verra probablement jamais) à cause de différentes polémiques autour du réalisateur franco-tunisien et de problèmes de droits. Mais pour revenir au film qui nous intéresse ici, Canto uno est un film (très) librement adapté d'un roman de François Bégaudeau. Le film parle d'une jeunesse qui a pour objectif de se (re)découvrir pendant l'été.
Nous sommes durant l'été 1994 et Amin (Shaïn Boumedine) est un jeune franco-tunisien, la vingtaine, qui revient dans sa ville de naissance de Sète. Il y retrouve une amie d'enfance Ophélie (Ophélie Bau), qu'il surprend avec son Cousin Tony (Salim Kechiouche) dans des positions pour le moins particulières ... mais je n'en dirai pas plus. Le jeune homme vient de passer un ans à Paris pour faire des études en médecine, mais il s'avère qu'il est plus intéressé par la photographie et le cinéma. D'ailleurs, il finalise l'écriture d'un scénario de film de science fiction dans l'espoir de le réaliser un jour. En plus de passer du bon temps la journée à la plage et le soir dans les boites de nuit, il compte bien profiter de cet été (studieux) pour prendre des photos et regarder de vieux films. On le voit d'ailleurs regarder un vieux film soviétique en noir & blanc, chose peu commune pour un jeune homme de vingt ans. Vous l'aurez compris, Amin a clairement une âme d'artiste et de là à y voir Abdellatif Kechiche en version jeune, il n'y a qu'un pas (et que je franchirais allègrement).
Mektoub My Love - Canto uno est donc un film sur la création ou l'âme créatrice de son protagoniste principal, mais c'est aussi et surtout un film sur l'adultère, le(s) couple(s) et la séduction. Amin va se faire draguer en permanence, par presque toutes les jeunes femmes qu'il croise, y compris ses amies d'enfance. Abdellatif Kechiche oblige, Canto uno est un film assez brillant, mais qui fait également polémique (à l'image de son réalisateur). Je ne suis pas au courant de tout ce qu'on peut reprocher à Abdellatif Kechiche, mais il est clair que les scènes de sexe filmées dans La Vie d'Adèle (2013) son précédent film et dans ce film, sont très crues (et donc très réalistes). Abdellatif Kechiche a ce regard (très) masculin sur les femmes, que tout le monde n'apprécie pas. Il faut aussi aimer les films voyeuristes, car Canto uno ne nous épargne rien lors des scènes très osées, notamment sur le fessier des jeunes actrices.
Mais Canto uno ce n'est pas qu'un "film de fesses", loin de là. C'est un film qui propose de magnifique cadres surexposés à la lumière, que ce soit des levers ou des couchers de soleil. On a donc ce personnage, Amin, de culture franco-tunisienne avec un ancrage religieux assez fort, en témoigne les nombreuses citations religieuses (chrétiennes ou coraniques) qui parsèment le long-métrage. En témoigne également son introduction au début du film, avec la lumière de Dieu qui l'illumine, tel un personnage sanctifié. Il observe alors son amie Ophélie chez elle, depuis la fenêtre, en train de faire des galipettes avec son cousin Tony, une scène voyeuriste et très érotique qui dure, dure très longtemps. Il est fort à parier qu'Amin n'avait jamais vu Ophélie dans de telles positions, plus qu'intimes.
Le film a commencé il y a à peine cinq minutes et il est fort à parier que pas mal de spectateurs ont dû quitter la salle à l'époque de sa sortie. Et pour compliquer le tout, Ophélie est en couple avec Clément, qu'on ne verra jamais du film, puisqu'il a épousé une carrière militaire et qu'il est parti en mission pour plusieurs mois sur un porte-avion. Et en parlant d'épouser une carrière, Ophélie et Clément ont en plus l'intention de se marier ensemble. Et pour compliquer encore plus la chose, on sent bien qu'il y a un désir non avoué et réciproque entre Amin et Ophélie. A ce niveau-là, on est plus dans un triangle amoureux, mais dans un quatuor amoureux.
Comme déjà dit, on ne verra pas Clément, mais pour ce qui est des deux autres garçons, Amin est l'exact opposé de son cousin Tony qui collectionne les conquêtes. Déjà, Tony est un peu plus âgé, qui plus est dragueur invétéré et flambeur, qui aime bien se comparer à Aldo Maccione (il en fait même l'imitation sur la plage). Amin quant à lui est très réservé et romantique, se comportant comme une jeune vierge pure et chaste. Il n'aime pas rouler des mécaniques comme son cousin et il n'a pas besoin de draguer, puisque toutes les filles viennent à lui, à commencer par Céline la danseuse, puis Anastasia la russe ... c'est bien simple, elle crackent toutes pour lui. Et puis, on sent bien qu'Ophélie est jalouse en voyant l'attention que lui porte les filles.
Avec tout ça, on peut se demander si Abdellatif Kechiche n'idéalise pas un peu trop Amin, qui (de mon point de vue) est son double plus jeune. On peut également se demander s'il ne fantasme pas un peu trop sur le corps des femmes, notamment sur leur fessier (on ne compte plus les plans sur les fesses). Difficile en effet de passer à côté des fesses proéminentes et rebondies d'Ophélie, tellement la caméra s'attarde dessus. A ce niveau-là, on pourrait presque parler de film masochiste sur les fesses. Alors faut y voir de l'art, en voulant mettre en avant la beauté féminine ? Ou faut-il plutôt y voir le regard toxique de l'homme sur les femmes ? A chacun son avis, mais moi je pencherai pour la première interprétation.
Canto uno est un film de plus de trois heures qui aime prendre son temps. Abdellatif Kechiche fait durer chaque scène, parfois jusqu'à l'épuisement (la dernière sortie en boite de nuit est interminable). Aprés, c'est un parti pris qui se justifie parfaitement, pour un besoin de réalisme, pour installer une ambiance bien particulière. Et soyons très clair, le film aurait pu durer encore une heure de plus, que ça ne m'aurait nullement gêné. Et au-delà des polémiques, que personnellement j'ai toujours trouvé un peu forcées, Canto uno se veut être une véritable ode à la vie et à l'insouciance liée aux grandes vacances d'été, période de relâchement mental, avec ses sorties en boites, ses petites amourettes et ses journées à la plage. Les scènes en boîte de nuit sont certes un peu longuettes, mais c'est voulu, pour être hypnotiques.
Le film questionne aussi l'amour, ou plutôt comment chacun vit l'amour. Il y a l'amour platonique, l'amour adultère aussi, la déception amoureuse, l'amour charnelle, l'amour fraternel, l'amour amical ... il y a mille façons d'aimer, comme en témoigne cette très jolie scène où un personnage féminin questionne comment on dit amour en arabe. On se rend alors compte qu'il y a pleins de façons d'exprimer son amour en arabe et les arabes eux-mêmes ont du mal à s'accorder pour dire comment on le dit. Et même à travers les prénoms des personnages, on a une célébration de la multiculturalité, avec Amin, Tony, Camélia, Ophélie, Charlotte, Céline, Anastasia, Karina ...
Bref, Mektoub My Love - Canto uno est un concentré de ce que peut offrir le cinéma d'Abdellatif Kechiche. C'est beau, long, généreux et toujours prenant. Il faut juste se laisser embarquer par la caméra du réalisateur et profiter de la beauté des corps, filmés en gros plans et irradié par la lumière du soleil, qui bougent, qui nagent, qui dansent et qui mangent aussi. Maintenant, je n'ai plus qu'une seule envie, découvrir Canto due au cinéma pour connaitre la suite des aventures entre Amin, Ophélie, Tony, Charlotte et les autres. (8.5/10)