J'ai rematé Les Moissons du ciel de Terrence Malick ...
Sorti en 1977 et réalisé par Terrence Malick, Les Moissons du ciel est l'un des plus beaux films de son époque. Sur le plan purement formel, c'est un vrai régal. La beauté des plans et la photographie font irrémédiablement penser à Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick et au Duellistes (1977) de Ridley Scott. Terrence Malick oblige, vous avez tous ses plans sur la nature et le propos philosophique (la voix off) qui imprègnent le long métrage. Après, pour apprécier le cinéma de Terrence Malick, il faut adhérer à son style très contemplatif. Certains diront que son style est soporifique ... les pauvres, ils ne savent pas à côté de quoi ils passent !
En 1916, Bill (Richard Gere) un ouvrier de la métallurgie qui vit à Chicago, doit fuir après avoir battu à mort son patron. Il emmène avec lui sa petite sœur Linda (Linda Manz), ainsi que sa petite-amie Abby (Brooke Adams) qu'il fait passer pour son autre sœur, histoire d'éviter les questions gênantes. Ils quittent donc Chicago pour aller dans le Texas, là où ils peuvent se faire oublier et pour trouver du travail en tant que saisonniers durant la moisson. Une fois sur place, ils se rendent compte qu'ils sont traités comme des moins que rien et que leur situation n'est pas forcément meilleur qu'à Chicago.
Mais voilà que le patron de l'exploitation (Sam Shepard) tombe amoureux d'Abby, croyant bien évidemment que ce n'est que la sœur de Bill. Et contre toute attente, ce dernier pousse sa petite-amie dans ses bras, ayant entendu une conversation laissant penser que la patron était condamné, car atteint d'une maladie incurable. Il n'en aurait plus que pour un an, voire moins qu'un an. Bill veut ainsi sortir Abby de la misère en récupérant l'argent et le statut social du fermier. Mais ce qu'il n'avait pas prévu, c'est qu'Abby va finir par s'attacher au fermier, ce qui sera une source de tension dans le couple.
Sur la forme, c'est du pur Terrence Malick et si comme moi vous aimez le bonhomme, alors vous allez en prendre plein les yeux. Chaque plan est magnifique et la photographie du film est sublime. De nombreux plans du film sont ainsi filmés soit au soleil couchant, soit au soleil levant, toujours au crépuscule de la nuit ou du jour. Et lorsque les plans sont filmés de jour, on a l'impression que toute la lumière rentre dans le cadre. Les Moissons du ciel est un vrai film d'esthète, le genre de film qui vous donne le sentiment "du beau et du sublime". Que ce soit les couleurs, les décors, le montage, les cadres, la photo ... ce film est marqué par sa "beauté" et sa "sublimité".
Sur le fond, on est face à une histoire de triangle amoureux, sur fond de tragédie. Dés le début du film, lorsque la voix off de la petite fille intervient, on comprend que tout le film nous sera raconté à postériori et selon son point de vue à elle et on devine bien que tout ça, ça ne peut que finir mal ! Nous sommes face à un instantané de vie en l'an 1916, en plein milieu de la Première Guerre mondiale (1914-1918), où les tensions sociopolitiques créent un climat de peur et de misère sociale aux Etats-Unis (et dans le monde). On suit ce couple et la petite fille qui travaillent du matin au soir, dans des conditions extrêmement difficiles et précaires. Et lorsque l’opportunité leur est offerte d’améliorer considérablement leur qualité de vie, ils la saisissent, mettant de côté la morale et l'éthique. Mais on devine bien que ce bonheur sera de courte durée, que leur plan ne va pas se dérouler comme prévu.
Les Moissons du ciel c'est l'histoire d'un triangle amoureux, mais c'est aussi et surtout l'histoire d'une Amérique, celle des année 1910. C'est la critique d'une Amérique désabusée, du rêve américain perdu. On est dans l'effort de guerre, avec cette industrialisation qui épuise les hommes. On voit la métallurgie qui tourne à plein régime au début du film, avec Bill qui finit par péter les plombs à force d'épuisement. Et puis, il y a ce départ en train avec les migrants, pour aller dans le Texas, vers la nature. C'est comme si d'un seul coup on se retrouvait dans un film de John Ford, avec cette idée du rêve américain et de la conquête de l'Ouest. Mais l'histoire se répète, Bill va de nouveau péter les plombs et c'est le fermier cette fois-ci qui va en faire les frais. Bill apporte avec lui le chaos, il n'arrive pas à se sortir de son propre chaos ...
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La fin invoque de nouveau la religion. C'est la catastrophe, les sauterelle surgissent pour dévorer les cultures. C'est un signe de Dieu, une punition, une plaie d’Égypte. De colère, le fermier y met le feu et les champs sont ravagés par les flammes. Et trahison ultime, Bill tue le fermier. La colère, l'envie, la jalousie et la soif de vengeance sont les racines de la corruption humaine et de la décadence morale ("Les Sept Péchés Capitaux").
Les Moissons du ciel est l'un de mes Malick préférés, mais ce n'est pas mon Malick préféré, à cause de deux ou trois petits défauts qui m'empêchent de lui donner la note maximum. Tout d'abord, le rythme est ici très lancinant et l’ennui pointe parfois le bout de son nez. Et pourtant, le film dure moins d'1h30. Mais voilà, la beauté des images ne suffit pas à me faire oublier le manque d'enjeux, parfois (ça manque seulement d'un peu de péripéties). Il y a aussi cette voix off qui me fait sortir du film. C'est pourtant un procédé qu'on retrouve dans tous les films de Terrence Malick, pour apporter une réflexion philosophique, spirituelle et bien souvent religieuse aussi, mais ici, pour je ne sais quelle raison, elle sonne faux. La petite fille est très secondaire dans l'histoire et avoir cette voix, assez extérieure à l'histoire, est assez déconcertante.
Bref, Les Moissons du ciel c'est une succession de tableaux de grands maîtres et durant 90 minutes (oui c'est assez court pour du Terrence Malick) vous n'allez pas en croire vos yeux (promis, j'arrête là les expressions avec les "yeux") et vos oreilles. C'est Ennio Morricone qui officie à la BO et elle est magnifique, avec le thème principal qui est dérivé de l’Aquarium du Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns (la musique de la montée des marches au festival de Cannes). Et après un tel uppercut, Terrence Malick va complètement disparaitre de la circulation pendant plus de vingt ans, avant de revenir pour un film de guerre parmi les plus marquants de l'histoire, La Ligne Rouge (mon Malick préféré et l'un de mes films préférés tout court).