International Karate + (Atari ST, 1988)

La découverte, la passion éphémère et l’oubli prématuré.
Mon super pote de primaire possédait un paquet de jeux d’Atari, en vrai. Parmi eux, International Karaté + nous aura peut-être fait le plus rigoler. En fait non, pas autant que Bubble Bobble ou que Troubadours, mais quand même énormément. On n’y jouait jamais très longtemps, souvent parce qu’on se faisait tabasser par l’IA adverse, mais on s’en moquait. Contrairement à n’importe quel autre truc qui nous aurait frustrés si on restait coincés, avec celui-là on s’éclatait, point. On ne l'a pas lancé des centaines de fois, même si on a vécu une période où il ne se passait pas une journée sans qu'on le fasse chauffer. Ouais, donc en fait si, on a passé beaucoup de temps dessus. Par la suite, peut-être a-t-on préféré éclater des loubards sur Double Dragon ou se prendre la tête à sauver les Lemmings (avant de tous les faire exploser, évidemment). Mais encore aujourd'hui, quand on se remémore notre enfance avec mon pote, on finit toujours par arborer un sourire amusé en prononçant le nom International Karaté +, comme un repère universel qui voudrait dire “on se marrait tellement avec celui-là”.

Réappropriation du jeu
Déjà, peut-on parler de la boîte ? La tête de Steven Seagal en gros plan, comme maître incontesté d'un jeu de karaté qui ne fait jamais mention de lui in-game ? Ça ne dérange personne ? Je ne me souviens même pas de ça, ni même si j'aurais reconnu le gars en voyant son portrait. Sérieux, rien ne peut dépasser cette cover en termes d'invraisemblance. Mais peut-être que mon pote avait une autre version, aucune idée. En tout cas, voilà une occasion supplémentaire de se poiler un bon coup avec ce brave IK+ ! Parce que même si on tient là un jeu de combat de plutôt bonne facture pour l'époque, le but reste quand même de faire crever le joueur de rire. Non ? Bah je croyais. Mais alors, le bruit des coups, quoique très bien digitalisés, qui ridiculisent les pires clichés du cinéma des eighties, même quand on ne touche personne, ce n’est pas une blague ? WAKCHA ! KRLA ! Sans oublier les cris des protagonistes lorsqu'ils encaissent une mandale qui les met par terre. Enfin, un gémissement de loup malade, croisé avec un grincement de porte blindée de vieux bunker, je ne trouve pas meilleure comparaison. Mais justement, je ne dénigre pas, je trouve ça génialissime ! J'espère seulement que le ou les développeurs assumaient cet aspect du jeu. Sinon, euh, désolé ! Mais mes abdos (aujourd'hui disparus) vous remercient quand même.

Bon sinon, le gameplay et tout, j’y viens. On incarne un karatéka qui doit se hisser au plus haut niveau, en commençant en bas de l'échelle. Postulat fade mais on ne peut plus logique et ancré dans son temps. Vêtu d'un kimono et d'une ceinture blanche, il fracasse la tête de ses clones (tout le monde affiche le même visage, et pas celui de Steven Seagal) pour accumuler des points, débloquant successivement les ceintures jaune, verte, violette, rouge et noire. Les combats se déroulent toujours de la même manière : trois gars s'affrontent sur un même plan, chacun pour soi. Le premier à infliger six “blessures” remporte le round (peu importe qui on a tabassé, les blessures se fichent de l’identité des blessés). On peut aussi gagner en affichant le meilleur score à la fin du temps imparti de trente secondes. Ouais, les coups infligent à la fois des blessures (une ou deux selon le placement, timing et qualité d'exécution, enfin un truc du genre quoi) et octroient des points (calculés… euh, via un algo de… OK j’en sais rien). L'opposant arrivé second peut continuer l'aventure aussi, tandis que le troisième rentre chez lui, couvert de honte. En vrai, on a autant squatté IK+ car on pouvait y jouer à deux en même temps. Rien de plus kiffant que de s'affronter dans un duel au… euh, joystick ou clavier ? Un au joystick et l'autre au clavier ? J'ai oublié, mince alors. Parfois on s'alliait contre le troisième gars, fatalement contrôlé par l'ordi (ou alors très rarement un autre humain), parfois on se fightait en priorité l'un contre l'autre, au risque de se faire éjecter de manière prématurée. Les risques du métier d'enfant gamer, surtout avec un pote comme le mien, qui adorait me faire trois farces par jour et montrer qu'il était le plus fort... dix fois par heure. Dans tous les domaines, aussi bien virtuels que réels. C'est lui qui m'a fait croire à un géant inexistant dans Blood, qui voulait absolument finir Dungeon Keeper avant moi, ou qui faisait la tronche si jamais je sortais avec une meuf avant lui. Tiens ça me rappelle qu'on scorait nos conquêtes sous forme de match de tennis. Une fille avec qui on couchait rapportait un jeu (je vous passe les détails sur comment on marquait 15, 30 ou 40, je me ferais cancel). On s'envoyait des SMS du genre “Je t'ai breaké hier soir !”, et l'autre répondait “Enflure ! Je te reprends ton service le week-end prochain !” Spoiler : j'ai perdu le match, et d'assez loin. Le féminisme ? J'ai connu plus tard, bien plus tard.

Mais euh, je m'égare. Il paraît que nos avatars disposent de quatorze mouvements en tout. On devait en sortir trois ou quatre de façon volontaire, notamment le direct de base et le mawashi classique, et les autres via le hasard le plus complet. Je trouvais le backflip ou le double coup de pied horizontal particulièrement stylés. D’ailleurs, l’animation me paraît toujours très fluide aujourd’hui. Franchement c’est pas mal du tout, quand bien même le système souffrait d'une maniabilité très rude, et de hitbox assez hasardeuse. L'IA en abusait d'ailleurs à fond dans les niveaux les plus difficiles, quand on obtient les ceintures les plus prisées. Je crois qu'on n'a jamais remporté de baston en ceinture noire. L'ordi nous rétamait beaucoup trop vite, même en se liguant à deux contre un au dernier niveau (ça n'a pas dû arriver une seule fois lol). Enfin dernier niveau ; il n'y avait pas vraiment de fin, je crois. On pouvait enchaîner tant qu'on survivait, pour tenter de réaliser le plus gros score possible. On parvenait malgré tout à sortir quelques combos stylés de temps en temps, et en découlaient de puissantes exclamations de joie. La boucle objectif-challenge-reward fonctionnait bien (j'ai appris ce terme en cours de game design, qu'est-ce qu'il y a). La boucle WTF aussi, tiens. Tous les trois stages, on accède à un genre de niveau bonus. Placé au centre de l'écran, on doit écarter d'un balayage au sol des bombes apparaissant partout autour de nous, de plus en plus vite. Plus barré encore, quand notre avatar tient un bouclier pour renvoyer des grosses balles… ou des têtes de lui-même (ou des autres combattants, vu qu’ils sont tous jumeaux) qui nous rebondissent dessus depuis la gauche et la droite ! Ça n'a aucun sens, ça n'a rien à voir avec le Karaté, mais ça permet de glaner un max de points pour choper une nouvelle ceinture. Et on se bidonne aussi, naturellement.

Il n'existe qu'un seul décor dans IK+, contrairement à son prédécesseur. Pourtant, je n'ai jamais ressenti le besoin de me taper ailleurs que sur cette terrasse de dojo bordant un joli fjord japonais (ça n’existe pas un fjord japonais ? Mais si, mais si). Le soleil qui se couche au centre de l’arche Shinto, projetant de jolis reflets dans l'eau sombre, le ciel rose constellé de petits nuages, l'espèce de bonsaï géant, les trucs en pierre qui font office de barrière sur laquelle grimpe du liseron fleuri (la résolution d'image ne permet pas de déterminer l'essence de la plante, mais j'ai demandé au créateur du jeu, il m'a confirmé pour le liseron). Il m'a amplement suffi, ce décor. Pas trop le temps de l'admirer, en même temps. On nous y incite pourtant, quand une araignée pendouille à un fil accroché à l'arche, un périscope de sous-marin émerge brièvement des flots, ou Pac-Mac en personne traverse carrément l'écran, à quelques mètres des participants. Et voilà, on a relâché notre concentration deux secondes, et on se prend un high kick derrière la tête. Un cliché ambulant de maître en arts-martiaux tout droit sorti de Karaté Kid nous annonce qu'on peut rentrer chez nous, et rester en PLS pour l’éternité.

Nouvelle plongée dans l’OST
Compositeur : Rob Hubbard, ça me dit un truc. Ah bah oui, le responsable des musiques de Populous, Budokan, mais aussi Road Rash, Desert Strike ou Commando ! Sur Atari ST, un certain Dave Lowe a réarrangé la B.O. originale (sortie où en premier lieu ? Commodore 64 ou ZX Spectrum je crois). Un gars qui a réarrangé plein de choses dans les années 80-90, apparemment. Je ne me rappelais presque pas de ces titres, enfin de ce titre. Un seul oui, qui joue sans transition pendant sept minutes trente et qui repart de plus belle, dès l'intro du jeu, jusqu'au moment où on éteint l'ordi, quand on ne supporte plus de mordre la poussière. Il nous propose de belles montagnes russes, alternant moments de calme et envolées parfois un peu barrées. Le chiptune qui sort de l'Atari ST reste assez supportable, ce qui représente une petite victoire en soi. Cette musique a le mérite d'exister, déjà, alors qu'un jeu sur deux optait pour du silence pur et simple sur cette machine. Je ne vais pas me l'envoyer en boucle en espérant me donner du courage quand je marche seul dans la rue en pleine nuit (quand est-ce que je fais ça, moi ?), mais ça peut mettre une petite patate de bonne humeur une fois de temps en temps.
International Karate + - Music
Regrets ou pas ?
J'avais oublié à quel point IK+ transpirait la coolitude. Y retourner m'a bien fait plaisir ; pas au point de m'y remettre sérieusement pour maîtriser le gameplay et choper la ceinture noire, mais j'ai maté les longplays avec au moins autant d'intérêt qu'un documentaire animalier de la BBC (compliment de haut vol, les vrais savent). Ça m'a aussi bien remis en tête les années de mon enfance que j'ai le plus adorées, en gros de mes sept à dix ans. J'aurai peut-être un avis différent dans un mois, mais pour l’instant je reste sur cette période-là. Je mettrai le texte à jour, pas grave. L'immense chambre que mon pote partageait avec son grand frère, l'ordi posé sur un bureau au centre, comme la séparation la plus stylée qu'on puisse imaginer. Les milliards d'alcôves, poutres et recoins dont regorgeait la pièce pour planquer ses légions de G.I. Joe, ses parents qui ne montaient jamais pour nous emmerder, contrairement aux miens qui transgressaient les limites de ma piaule trois ou quatre fois par après-midi pour nous plomber le moral. D'ailleurs, mon pote ne venait chez moi que quand ils n'étaient pas là, ou presque, ce qui rendait sa baraque d'autant plus accueillante. Son frangin aimait bien nous houspiller, comme 99% des gamins de treize ans aiment houspiller des gosses de huit piges. Mais s'il débarquait alors qu'on jouait à International Karaté +, il oubliait aussitôt ses griefs et s'installait avec nous pour quelques parties.
