Rogue Trip : Vacation 2012 (PlayStation, 1998)

La découverte, la passion éphémère et l’oubli prématuré.
Je triche un peu avec ce jeu. Je ne l'ai pas connu au vingtième siècle, mais plutôt en 2005-2006. Durant cette période qui s'est étalée sur plus d'un an, ni mon meilleur pote, ni moi n'avions de copine. On en souffrait pas mal, mine de rien. On ne parlait que de ça : retrouver une meuf. On théorisait sur ce qu'on appelait “l'aura du mec casé”, qui attirait les filles à lui sans rien avoir à faire, alors que les célibs comme nous les faisaient fuir malgré tous nos efforts. On voyait ça comme une fatalité, alors que ça venait trèèèèès probablement de notre comportement mêlant désespoir émotionnel, misère sexuelle et manque de confiance en soi. Que faisait-on pour y remédier ? On se sociabilisait en multipliant sorties et activités épanouissantes ? Bah non ! On geekait comme des brutes, évidemment ! Quand mon meilleur pote venait chez moi à cette époque, on se butait à Mario Kart 64, Turtles in Time, Bubble Bobble ou Gauntlet IV sur émulateur. Chez lui, on ressortait parfois la PS1 pour tester des trucs qu'on avait encore jamais lancés. Bizarrement, je ne me souviens que d'un seul jeu : ce fameux Rogue Trip. En même temps, chaque partie nous faisait chialer de rire à en avoir des crampes au bide. Je pense qu'on y jouerait encore aujourd'hui, si on n'avait pas fini par retrouver quelqu'un. On aurait une tronche horrible, mais une espérance de vie de mille ans (rapport aux crises de rire, désolé). Je me demande bien comment on a réussi à se remettre en couple, tiens. Mais eh, on ne pouvait vivre indéfiniment dans une arène pleine de véhicules ultra chelous et suréquipés, saturée d'explosions, d'attaques extraterrestres, armes expérimentales… ou peut-être que si. Il y a une partie non négligeable de mon subconscient qui aurait aimé voir ça, tiens.

Réappropriation du jeu
Mais, pourquoi “Vacation 2012” ? Je me doute qu'en 1998, ça sonnait un peu futuriste de dire 2012, mais pas tant que ça non plus. Pour imaginer un monde dystopique en plein effondrement civilisationnel, avec des lasers, arcs d'énergie géants et poulets mutants dévoreurs de bagnoles, on pouvait largement ajouter un siècle. D'accord, un demi-siècle, je révise mon jugement au vu du bazar climatique actuel qui ne fait qu’empirer. Pour situer ça en 2012, il fallait de sacrés pessimistes chez les développeurs. Alors euh, je ne savais même pas s'il existait un mode solo dans ce jeu. Avant de me renseigner, en tout cas. On suit bien une trame quelconque, avec des bagnoles ou autres goodies à débloquer en finissant les histoires des personnages. Je n'ai testé que du deathmatch en arène, en écran splitté avec mon pote, et j’ai cru qu’on ne testait qu’un mode secondaire d’un jeu de course à peu près classique. En fait non, Rogue Trip ne propose que de la baston en arène. Et je n'ai pas ressenti le besoin d'en tirer autre chose. Ça se suffisait à soi-même, du moins pour l'usage qu'on en faisait. On y incarne donc un ou une conductrice parmi seize jouables, tous plus fumés de la tête les uns que les autres. Chacun au volant de son véhicule perso, aux stats plus ou moins hautes parmi la maniabilité, la vitesse, la résistance et le poids. Ah, et tous ont droit à leur arme spéciale, parce que rigolade et festivités, tout ça. Qui n’a jamais rêvé d’écraser son prochain à l'aide d’une saucisse géante ? Ou de lui envoyer une horde de caniches explosifs dans le pare-brise ? Ou encore le découper en morceaux avec deux scies circulaires remplaçant les roues avant ? Bien sûr que tout le monde en a rêvé. Ajoutons-y divers items disponibles au grand public, comme un lance-flammes, une mitrailleuse, des missiles guidés ou non, et voilà de quoi s'éclater comme des petits fous sur une douzaine de stages, allant du casino géant aux resorts en bord de mer, en passant par un manoir fortifié gardé par des hélicoptères, ou la zone 51 et son accès direct à une base lunaire… le tout agrémenté d'une touche post-apocalyptique assez appréciable. On embarquait souvent pour Eternal Acres, un niveau de prairies vallonnées plus ouvert, donc plus propice au bourrinage non-stop. Je crois qu'on n'a jamais débloqué l'intégralité du casting, vu qu'il fallait terminer le jeu avec certains engins précis.

Et par terminer le jeu, j'entends faire tout l'inverse de ce qu'on faisait nous. Le deathmatch pur et simple jouait effectivement le rôle de mode secondaire. La feature primaire comporte bien du fight dans des arènes fermées, mais avec un détail d'importance. Je dis ça comme si je savais, alors que je n'ai jamais testé, mais j'ai envie de faire confiance à ceux qui ont écrit de vraies reviews, basées sur une expérience complète du jeu. C'est pas comme si j'avais le choix, en même temps. Si on nous parle de Trip et de Vacation dans le titre, c'est parce que les gens archi tarés que l'on peut incarner font tous le même boulot : VTC pour touriste, ou Auto Mercenary, comme stipulé in-game. Un touriste par stage, que l'on doit récupérer le premier pour l'emmener visiter des lieux précis, et qui nous récompense en nous payant grassement. Avec la thune, on répare notre caisse, histoire de tenir le choc lors des prochaines vacances ! Aaah mais voilà pourquoi tous ces débiles se tapent dessus ! Quand on prend le temps de se mettre dans le contexte, ça devient tout de suite plus facile de comprendre leurs problématiques. Mais qui peut bien avoir envie de dilapider ses congés payés dans des endroits pareils, sérieux ? Surtout en se faisant balader par des individus complètement barges. Attention, car à tout moment, le touriste peut se mettre à paniquer et fuir de notre taxi en hurlant. Parfois à cause de notre conduite un poil nerveuse, souvent parce qu'il supporte mal la vue de missiles frôlant son appareil photo. Les adversaires le récupèrent aussi en nous éclatant suffisamment la tronche pour l'éjecter de notre habitacle. Dangereuse occupation que le tourisme en 2012 ! Sans doute un délire d’ultra riche. Remarque, ça n’a l’air d’intéresser qu’un gros flambeur blasé, une vieille dame aigrie, et un extraterrestre mal élevé. Sans doute une délire d’ultra riche, assurément.

Le noyau dur de Rogue Trip combine donc les aspects bagarre de bagnoles à la Destruction Derby, avec l’adjonction d’armes futuristes rappelant WipEout pour certaines, mais avec un twist ! Oui, un twist, un mot ressemblant beaucoup à… Twisted Metal, peut-être ? Vous avez le droit de me lancer des œufs pourris pour avoir osé cette transition immonde. Eh ouais. Rogue Trip descend directement de son papa spirituel Twisted Metal 2, développé par les mêmes gars de chez SingleTrac. Les connaisseurs de la licence reconnaîtront sûrement les influences, notamment dans les artworks et les cutscenes grotesques sur bien des plans. Je ne fais pas partie de ces gens. Pourquoi ne pas avoir sorti un Twisted Metal 3, plutôt qu’un jeu au concept quasi identique, mais dans un univers différent ? Parce que les droits de la licence avaient échu entre les mains d’un autre studio entre-temps ! Je ne connais pas les détails de l’histoire à ce point, j’ai quand même appris que chez SingleTrac, on avait tellement le seum de ne plus pouvoir bosser sur Twisted Metal, que non seulement Rogue Trip reprend les mêmes mécaniques en mieux, mais EN PLUS, il est sorti genre, un mois avant Twisted Metal 3. Et pour des critiques plus élogieuses. Allez, petit doigt d’honneur en passant, comme ça. Apparemment, une suite aurait dû sortir pas trop longtemps après, et l'équipe avait même pas mal bossé dessus. Mais Sony s'est dépêché de racheter le studio et d'annuler le projet, comme pour éviter qu’un nouveau désastre ne se produise. Mais comment quoi ? D’où ils sortent ce genre de décision, alors que les avis de la presse et des joueurs sur Rogue Trip laissaient plutôt présager le potentiel succès commercial d’une suite, moyennant l’affinage de plusieurs trucs et l'approfondissement de quelques machins (je me garde bien de préciser quoi). À moins que le dernier vrai jeu développé par SingleTrac leur ait fait perdre toute crédibilité ? Animorphs : Shattered Reality. Ouais, une adaptation sur PS1 des bouquins Animorphs. Eeeeeet ça n'a pas fonctionné. Fallait oser, remarque. Mais bon, des gens qui se changent en animaux, euh, comment dire, ? Laissez ça à Bloody Roar, hein. Voilà le genre de courage suicidaire qui manque au monde du jeu vidéo aujourd'hui. Ou pas.

Nouvelle plongée dans l’OST
Alors là… encore un jeu à ranger dans le placard des B.O. oblitérées de ma mémoire. J'ai eu beau écouter certains morceaux à plusieurs reprises en espérant raviver quelque chose, mais non. Désolé, on était trop occupés à chialer sur notre statut d’incel, temporaire certes, mais que l'on croyait encore éternel à ce moment-là. On se bidonnait un peu trop fort, hurlant d’un rire rageux quand l'autre faisait exploser notre bagnole, aussi. Bon, je fais un petit effort pour en parler quand même. On trouve Chuck E. Myers et Tom Hopkins aux commandes. Jamais entendu parler d'eux, mais le souci vient de moi, là, car de leur carrière se dégage une certaine classe, tout de même. Twisted Metal 1 et 2, Looney Tunes Racing, mais aussi Top Spin et les Dance Dance Revolution pour le premier nommé. Enfin, plus récemment, un petit jeu indé du nom de Hogwarts Legacy apparaît sur leur CV. Eh ouais, les mecs charbonnent toujours, faut croire. Ils ont d’ailleurs remporté des awards et des distinctions officielles pour leur boulot ! Et leur boulot dans Rogue Trip, ça consiste en quoi, alors ? Écoutons voir : du ska de cassos, du rock de branlos, de la country de boloss, ou encore du rap, du jazz et même du big beat de déglingos (ouais je commençais à manquer d’inspiration). Les deux musicos nous abreuvent de tout leur savoir à la fois. D’accord, ils en connaissent un rayon. Je pense pouvoir affirmer sans trop risquer ma vie, que certains morceaux, bien que magnifiquement relous à la longue, n’importe qui ne pourrait pas les jouer. Je ne possède quasiment aucune notion en musique, solfège, création de mélodies et tout, mais on sent qu'il y a du level. Du level agaçant, affligeant même, parfois. Mais ça reste à cataloguer dans le skill indéniable. Et puis ça colle bien au bordel ultra violent, festif et MadMaxesque de ce jeu. Par contre, au risque de passer à côté de la vraie essence de cette O.S.T. je préfère partager le morceau qui m’insupporte le moins, plutôt que celui qui retranscrirait le mieux cette atmosphère de fou malade propre à Rogue Trip.
Rogue Trip : Vacation 2012 - Nuke York
Regrets ou pas ?
Bon ça va, celui-là on l'a assez vu. On en avait vite fait le tour, finalement. Même sans avoir poncé le mode histoire, je veux dire. De toute façon, en 2006, ma nostalgie ne s'attachait plus aux jeux vidéo, fussent-ils développés en 1998. En outre, penser à Rogue Trip me renvoie aussitôt à ma situation de pauvre petit chaton abandonné dans la forêt, sans petite chatonne pour lui prodiguer de l'amour. Et même si je ne crains plus de revivre ça aujourd'hui, cette angoisse ressentie à l'époque me met toujours mal à l'aise. Il aurait suffi que mon pote et moi, on continue de jouer à la PlayStation, et on n'aurait pas condamné ce jeu à nous renvoyer une sale image de nous-mêmes. Mais non, on a préféré s'engueuler parce qu'on n'arrivait plus à concilier nos emplois du temps devenus beaucoup plus remplis, maintenant qu'on avait chacun retrouvé une copine presque en même temps. Je crois qu'on n'a plus jamais rejoué à la console ensemble après ça ; pourtant l'embrouille n'a pas duré bien longtemps. On tournait juste la page d'une période ultra marrante et ultra nulle à la fois. Exactement comme Rogue Trip en fait.
