cinema

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Réalisateur(s): Elem Klimov
Scénariste(s): Alès Adamovitch, Elem Klimov
Acteurs: Alexeï Kravtchenko, Olga Mironova
Compositeur: Oleg Iantchenko
Date de sortie: 1985 - Russie

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Requiem pour un massacre / Va et regarde. De Elem Klimov.

1943. Biélorussie. Fliora, un jeune garçon de quatorze ans quitte sa mère et ses deux petites sœurs pour s'engager chez les partisans et combattre l'ennemi nazi.

Il y a des visages qu'on n'oublie pas et des films qui vous hantent longtemps. Le Requiem de Klimov est de ceux là.
Après Le fils de Saul et Une vie cachée, je découvre encore un chapitre sordide de la deuxième guerre mondiale qui semble être un puits sans fond dans l'horreur absolu. Car c'est un fait qui est peu relaté, mais la bielorussie fut l'objet d'un véritable génocide de la part des nazis lors de la seconde guerre mondiale. Le film s'achève par cette simple phrase : « Les nazis ont réduit en cendres 628 villages biélorusses avec tous leurs habitants. »
Une conclusion qui frappe comme une balle en plein cœur, sachant que l'on vient juste d'être lessivé par un final apocalyptique, avec la destruction d'un seul de ces villages et traumatisé par 2 heures d'atrocités frôlant le réalisme documentaire. Car c'est toute la force du chef d'œuvre de Klimov, une reconstitution plus vraie que nature, tournée en bielorussie, en ordre chronologique, en langue réelle et avec des acteurs quasiment tous amateurs, notamment le gamin du rôle principal, bouleversant de véracité et d'émotion, dont l'innocence se détruit à petit feu et sombrant doucement dans la folie de la guerre. Le réalisme le plus extreme fusionne avec une mise en scène lyrique, opératique, faite de gros plans, de plans sequences coregraphiés comme des ballets, où se côtoient les violons de Mozart aux cris stridents du bétail et des villageois. C'est barbare, c'est beau, et terrifiant à la fois. Ça vous retourne comme jamais.
Et le pire c'est que le réalisateur déclara : « Ce que j’ai fini par filmer est une version allégée de la vérité. Si j’avais inclus tout ce que je savais et montrer toute la vérité, même moi je n’aurais pas pu le regarder. »
Et cette propension à décrire l'impensable ne lui est pas venu comme ça, du jour au lendemain, car il a lui même expérimenté l'effroi, quand il dû, à moins de 10 ans être évacué avec sa mère et son petit frère nourrisson sur un canot de sauvetage sur la Volga pendant la bataille de Stalingrad, la plus massive et la plus meurtrière de l’histoire – près de 2 millions de personnes tuées, blessées ou capturées :
« Quand j’étais enfant, j’ai été en enfer. La ville était dévorée par des flammes qui montaient jusqu’au ciel. Même la rivière brûlait. C’était la nuit, les bombes explosaient, les mères couvraient leurs enfants avec n’importe quel linge qui leur tombait sous la main, et puis elles se couchaient sur eux. »
Des images qui, comme il le raconte en interview dans les bonus du dvd, lui restèrent tout au long de sa vie et qui ont fait qu'il se sentait investit d'une mission sacrée, raconter avec son art la tragédie qui touche tout un peuple. Après ce travail de mémoire jusqu'au boutiste, il ne fit plus rien dans le cinema, tout lui semblant vain et dérisoire.
Il faut aussi dire que la genèse du long métrage ne fut pas de tout repos, il fallut attendre 7 ans pour que l'organisme d'état russe chargé de la culture valide le tournage, tel que voulut par l'auteur, à la simple condition de changer le titre prévu à la base "Tuez Hitler", son choix se porte alors sur "Idi i smotri", littéralement « Viens et vois », phrase tirée du verset 6:7 de l’Apocalypse, où l’on assiste à la dévastation commise par les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.
Et pourtant ce titre, comme le décrit Elem Klimov, signifiait « Tuez le Hitler qui est en vous » : il a été conçu dans un sens global, comme un appel à tuer le principe diabolique, tout d'abord, en soi. Et il trouvait tout son sens lors d'une scene finale de toute splendeur, où l'on voit le personnage principal tirer en même temps sur son propre reflet dans l'eau et sur une photo du furher, le tout monté dans un rythme frénétique avec une alternance d'images d'archives montrant les événements à rebours, de la découverte des camps et des charniers, en remontant par la mise en place du régime, la jeunesse du futur despote jusqu'à une image finale de l'enfant qu'il était sur les genoux de sa mère. Nous renvoyant à un dialogue effroyable entendu quelques minutes plus tôt où un SS revendiquait l'assassinat des enfants du village pour justifier le but ultime de l'extermination d'un peuple car "c'est par l'enfant que tout commence".. Glaçant.
Comme le dit si bien l'Humanité "ce requiem est une symphonie de l'enfer, de celles que l'on n'oublie pas." il fait donc partie de ces œuvres rares et indispensables qui vont au delà de l'expression artistique et qui doivent absolument être vues et partagées par le plus grand nombre, dans un devoir de mémoire collectif et humaniste.

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