cinema

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Réalisateur(s): Denis Villeneuve
Scénariste(s): Hampton Fancher, Michael Green, Ridley Scott
Acteurs: Ryan Gosling, Harrison Ford, Ana de Armas, Robin Wright, Sylvia Hoeks
Compositeur: Benjamin Wallfisch, Hans Zimmer
Date de sortie: 2017 - USA

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 Dans tous ses écrits, les questionnements philosophiques sont la marque de fabrique de Philip K Dick. "Qu’est-ce qu’un être humain?" et "Qu'est-ce que la réalité?", c'est par ces deux questions là, mais surtout la première, qu'il faut aborder Blade Runner et sa suite Blade Runner 2049. Ce qui est sûr, c'est que pour Philip K Dick les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent. Nos sens nous fourvoient et notre cerveau surinterprète.


Le sujet qui est au centre de tout dans Blade Runner 2049, c'est le sujet de la création de la vie et de ce qui différencie les humains des réplicants. La frontière qui les sépare est remise en cause par l'idée que deux androïdes puissent procréer et donner naissance à un autre androïde. Si les androïdes peuvent procréer entre eux, peut-on encore parler de "machines" ? Qu'est ce qui différencie un humain d'un androïde, si tous deux peuvent procréer ? Au delà de ces questions, la saga Blade Runner laisse libre cours à l'interprétation. Et surtout, l'esthétique très soignée des deux films donne un second degré aux scènes fortement contemplatives. Ainsi, le personnage de Wallace aveugle (Jared Leto) représente clairement une divinité (il vit dans une sorte de temple et nomme ses androïdes des anges) et porte un regard intéressant sur l'humanité.

D'ailleurs, il y a un fort symbolisme des yeux dans Blade Runner. Le film commence par un gros plan sur un œil qui représente l'âme. Et l'âme, c'est ce qui différencie les humains (qui en ont une) des androïdes (qui n'en ont pas). Le fameux test du Voight-Kampff (inspiré du test de Turing) pour savoir si on est face à un répliquant ou à un humain, consiste à observer l’œil de la personne, les yeux rouges étant le signe distinctif des réplicants. Wallace est aveugle, ce qui signifie qu'il a perdu son âme et qu'il ne "voit" le monde qu'a travers les machines (des drones oculaires). C'est d'ailleurs assez ironique que Wallace soit aveugle, alors que Tyrell est mort en se faisant crever les yeux dans le premier film. Et quand Deckard (Harrison Ford) dit "Elle avait les yeux verts" en voyant le réplicant de Rachel, c'est pour signifier que malgré toute la technologie que possède Wallace, il est incapable de reproduire l’âme (c'est à dire les yeux). Et pour finir, l’hologramme de Joi (Ana de Armas) sur l’immense panneau publicitaire à les yeux noirs, signifiant qu'on peut lui attribuer la personnalité (ou l'âme) que l'on veut.

A savoir que le scénario de Blade Runner 2049 repose sur le fait que Deckard soit bien un réplicant. La scène de la licorne à été tourné durant le tournage du premier Blade Runner, c'était donc prévu depuis longtemps et Ridley Scott ne l'a pas rajouté par hasard dans sa director's cut. Ce n'est pas un simple caprice du réalisateur, pour faire son George Lucas. C'est juste que l'hypothèse que Deckard soit un répliquant, était tout simplement pensé dés le départ, dés la mise en production du premier film.

Dans Blade Runner 2049, une des scènes les plus touchantes et marquantes pour moi, c'est le moment où K (Ryan Gosling) est perdu après avoir compris que "l'enfant élu" ce n'était pas lui. Il marche seul dans la ville et se retrouve face au produit publicitaire "l'hologramme de Joi" qui vante les mérite de sa femme. Elle s'adresse à lui, telle une inconnue et l'appelle même Joe. A ce moment là, je pense que le personnage est vraiment mort intérieurement. Il se rend compte que ce qu'il avait potentiellement perçu comme un véritable amour, sincère et unique, n'était peut-être qu'une chose formatée, un code informatique pour faire croire à l'amour. Elle aurait pu l'appeler Brad, Tom, Mike ... mais voilà, elle l'a appelé Joe, comme tous ses clones. Ce qu'il a vécu avec elle, ce n'était que du fake, comme ses souvenirs et sa vie. il en vient même à redevenir pleinement ce qu'il était au départ, un réplicant qui exécute sa mission sans poser de question, étant donné que c'est uniquement ce qu'il est ... un réplicant. La femme leader de la rébellion et l'hologramme de Joi brisent son rêve d'accession à l'humanité. Et c'est paradoxalement en se mettant en danger pour sauver Deckard, jusqu'à même se sacrifier, qu'il se montre alors plus humain qu'il ne l'a jamais été.

Mais Blade Runner 2049 ne serait-il pas un souvenir fabriqué pour nous, simple spectateur du film ? L'hypothèse est intéressante, tout le film serait alors une mise en abîme nous faisant croire que ce monde fabriqué est réel. En ce sens, toute l'histoire, englobant Blade Runner et sa suite, ne serait qu'un rêve élaboré par cette jeune fille retranchée du monde, dans sa bulle (et qui ne révèlera sa véritable identité que sur la toute fin). Ainsi, le monde de Deckard et de K n'est pas réel et c'est elle, la véritable créatrice de ce monde. On est en quelque sorte dans un film dans le film.

K est un personnage en quête d'identité, qui est ramené à sa simple identité de réplicant. Contrairement à ce qu'aime lui faire croire Joi, en lui répétant qu'il est spécial, il n'est rien de plus qu'une "machine". L'hologramme de Joi apparait tout au long du film sur des panneaux publicitaires, cherchant toujours à flatter notre égo en n'hésitant pas à toucher à notre intime et nous faisant croire que nous sommes spéciaux ... alors que nous faisons face à une simple publicité. D'ailleurs, la femme leader du groupuscule n'hésite pas à lui rappeler son simple statut de réplicant, quand elle lui dit en parlant de l'enfant élu "Nous aimerions tous l'être". Oui nous aimerions tous être "spécial", unique et avoir une réelle emprise sur sa vie.

Enfin, je pense que la solitude et la quête de sens sont des expériences fondamentalement humaines. Je pense même que ce sont les sujets de réflexions les plus importants, après la peur de de la mort, thème exploré dans le premier Blade Runner. Joe/K meurt dans sa quête de rébellion contre le système. Il meurt pour avoir été coupable d'une seule chose, d'avoir été humain. Un parallèle très intéressant peut être fait avec Le Procès d'Orson Welles (et de Franz Kafka), où le personnage principal Joseph K. (Joe étant curieusement le diminutif de Joseph) est condamné à mort, jugé coupable lui aussi d'avoir été trop humain.

C'est pourquoi je trouve excellent que ces thématiques aient été aussi ainsi bien traitées par Denis Villeneuve. Y avait-il vraiment un intérêt à faire une suite de Blade Runner? Oui c'est suite a du sens et c'est une belle suite aux propos de Ridley Scott.

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