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Réalisateur(s): Gillo Pontecorvo
Scénariste(s): Franco Solinas d'après un livre de Yacef Saâdi
Acteurs: Jean Martin, Brahim Hadjadj, Yacef Saâdi
Compositeur: Ennio Morricone
Date de sortie: 1966 - ITA/ALG

Comment un tel film a t'il pu passer sous les radars, et rester pendant près de 40 ans, en France, un des secrets les mieux gardés du cinéma européen??
L'autocensure tout simplement. Car il mettait la France face à ses contradictions, j'y reviendrai.
Entre temps il est devenu à l'international un classique universel, d'une incroyable importance dans l'histoire du cinema moderne, tant au niveau théorique qu' esthétique, de nombreuses fois primés, mais allant bien au delà du statut cinématographique, en faisant éclater les frontières entre le documentaire et la fiction, à force de retranscription maniaque des faits, il se présente comme une chronique sans effet de dramatisation ou d'émotion facile, et devint malgré lui un brûlot politique d'une crédibilité exceptionnelle, à l'objectivité éprouvée, mettant dos à dos les violences des "occupants" à celles des révolutionnaires, nuançant le portrait de l'officier qui mena les "opérations spéciales" (terme qui renvoie dramatiquement à l'actualité géopolitique et qui en dit long sur le gouvernement français de l'époque)

 

L'HISTOIRE
L’intrigue de La Bataille d’Alger débute le 8 octobre 1957, quelque part dans la Casbah, ou bien encore la "ville indigène" ainsi que le pouvoir colonial français désignait le cœur historique de la cité. Après avoir contraint par la torture un membre du Front de Libération Nationale à révéler la cache d'Ali La Pointe (Brahim Haggiag), des soldats de la 10e division parachutiste investissent celle-ci. Emmenés par le colonel Mathieu (Jean Martin), les paras français sont sur le point de mettre hors de combat l'un des principaux leaders de la lutte indépendantiste engagée par le FLN depuis 1956, au cœur-même de la capitale d'une Algérie encore française. Mais tandis que les soldats s’apprêtent à plastiquer le mur derrière lequel se dissimulent Ali avec d’autres membres du FLN parmi lesquels une femme, Halima (Fusia El Kader) et un enfant, Petit Omar (Mohamed Ben Kassen), un flash-back nous ramène en 1954. C’est-à-dire à l’éclatement de ce que l'on appelle en France la guerre d'Algérie, et dans celle-ci la guerre d'indépendance. La bataille d'Alger fut l’un des épisodes les plus marquants de ce conflit.

 

 

Pourquoi fut-il difficile voire impossible de visionner ce chef d'œuvre de notre côté de la méditerranée, bien que lauréat d'un Lion d'or à Venise, et nommé aux Oscars, pendant de si longue années ?
Non pas à cause d'une interdiction étatique, bien que ne pas faire étalage de ce film devait arranger en haut lieu, mais d' une autocensure des distributeurs qui se heurtaient à une résistance violente émaillée d'incidents à chaque tentative de diffusion sur le territoire. Le film malgré sa relative neutralité, prend le parti de l'oppressé, et est tout de même produit (en collaboration avec l'Italie) par un ancien du FLN et le gouvernement algérien, il fut considéré comme une provocation par l'extrême droite et contribua à créer un antagonisme virulent et durable avec des associations de rapatriés et d'anciens combattants.

 

 

Son réalisme absolu fit qu'il devint une influence et une référence majeure pour de nombreux et variés mouvements révolutionnaires et tiers-mondistes (nationalistes palestiniens, républicains irlandais, révolutionnaires allemands, Black Panther new-yorkais....) mais également auprès de leurs adversaires (écoles paramilitaires argentines, officiers du tsahal israélien, et meme le pentagone (!))
Interviewé à l'occasion de sa ressortie DVD en 2004 par L’Humanité sur les influences troublantes de son film sur les mouvements de guérilla aussi bien que sur les armées occidentales, Gillo Pontecorvo répond sans ambages : « La Bataille d’Alger n’apprend pas à faire la guerre, mais plutôt à faire du cinéma. Aucun film n’apprend au spécialiste à faire quelque chose. C’est juste un film de deux heures où un officier n’apprend rien, même s’il peut saisir un peu de l’odeur du moment. »

 

La Casbah. Quartier labyrinthique, délabré, où les cohortes de paras arpenteront les rues tortueuses, semble figé dans un passé archaïque et miséreux, mis en évidence par ce plan d'ensemble qui l'oppose à la cité européenne claire et moderne.
Une imagerie régulièrement reprise au cours du long métrage, le contraste entre le chaos des quartiers arabes et l'ordre de la société colonisatrise, dénonçant ainsi l'ironie grossière et la fausseté d’une entreprise qui, sous couvert de mission civilisatrice au profit des colonisés les a en réalité soumis à une domination inique. C'est dans cet abandon à la misère, cette domination brutale que naîtra l'insurrection.

 

Quelques points marquants de la fiche technique :
-Au scénario, Franco Solinas que l’on retrouvera durant la décennie suivante au générique de Mr. Klein (magnifique film avec Alain Delon que j'ai découvert récemment) , confirmant ainsi l’intérêt manifeste de l’Italien pour les pans les plus dramatiques de l’Histoire de la France contemporaine.
-À la musique, un jeune inconnu du nom de Moriconne, qui livre une superbe partition lyrique, soulignant tantôt le martyr, tantôt l'héroïsme des protagonistes.
-Dans le rôle de Djaffar, haut responsable en charge des opérations armées dans la « Zone Autonome d’Alger », Yacef Saâdi, fut un des principaux protagonistes de la bataille d’Alger jusqu’à son arrestation en septembre 1957. Ayant réchappé à une exécution capitale après avoir été gracié par le général de Gaulle en 1958, et une fois l’Algérie devenue indépendante, Saâdi s’engagea dans la production cinématographique, il tient ici le rôle de son double fictionnel, quasi autobiographique. Fait extrêmement rare au cinéma. Ceci renforce encore un peu plus la crédibilité de l'histoire et des dialogues incisifs et précis.
-A cela s'ajoute le regard du comédien Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu , en son temps signataire du Manifeste des 121 (declaration signée en septembre 1960 par 121 intellectuels, qui combattaient la politique coloniale de la France)


La bataille d'Alger est une pièce d'histoire, pas un documentaire, mais un document essentiel, un film dont la sécheresse, la justesse et l'efficacité, influenceront la mode du "naturalisme coup de poing" dont Paul Greengrass est le dernier héritier (bloody Sunday, vol 93). Il fut aussi une inspiration pour de grands cinéastes comme Soderbergh, Oliver Stone ou même Kubrick pour son full metal jacket.

Pour conclure, La Bataille d’Alger s’avère bien évidemment aussi empathique quant à la lutte indépendantiste qu’il est critique à l’encontre de la France colonialiste. Mais c'est avant tout un film à la beauté bouleversante, aux qualités esthétiques indéniables, d'influences néo-réaliste, en particulier sur le grain de l'image, d'un noir et blanc saisissant, à la portée universelle grâce à la sincérité de sa mise en scène et la véracité de ses personnages.

PS : Il figure dans le top 50 des meilleurs films de tous les temps, selon un classement établi par le magazine anglais Sight & Sound, spécialisé dans la critique cinématographique.
Autant vous dire que les 50 films de ce top sont à voir au moins une fois ;)

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