L'HISTOIRE
Adam Cramer débarque dans la petite ville de Caxton, dans le sud des Etats-Unis alors qu’une loi antiségrégationniste qui vient d’entrer en application va permettre aux Noirs de la ville de fréquenter le lycée jusqu’ici réservé aux Blancs. Cramer travaille pour la Patrick Henry Society, une organisation raciste, et, se présentant comme un réformateur social, va user de son charisme pour soulever les habitants de Caxton contre cette nouvelle loi. Cramer parvient à ses fins, et la situation devient incontrôlable.
Un sujet innatendu dans la carrière prolifique de Roger Corman, plutôt habitué aux séries Z fauchées mais toutefois non dénuées d'intérêt (on peut aussi lui attribuer la découverte du talent de Jack Nicholson, et également d'avoir lancé Coppola et Scorsese, excusez du peu...). Ici c'est un débutant du nom de William Shatner, impressionnant de séduction et de charisme, qu'il lance dans le grand bain.
Comme à son habitude, Corman tourne vite (the intruder est son 30ème film en seulement 7 ans de carrière) et pas cher.
Cette situation donnera au final un film au montage resserré, au rythme intense, oppressant, au propos éfficace et intelligent. La sécheresse du récit et cette sensation d'urgence lui permettent de délivrer une œuvre incisive et directe. Un film coup de poing.
Engagé et sous pression, au sens figuré comme au sens propre. Car le tournage a lieu au début des années 60, dans une ville du sud des États Unis, où le sujet est encore brûlant. Le tournage comme la distribution connaîtront les pires difficultés, ce qui en fera un échec commercial mais pourtant l'œuvre la plus réussie de son auteur. Le tournage peut se résumer par l'expression "Shoot & Run" : tourner les scènes au plus vite et s’enfuir avant la menace. Si The Intruder est une œuvre « sous pression », son tournage se fait sous haute surveillance. Filmer devient un acte politique, voir subversif, qui interagit fortement avec le réel.
Tournant le dos au Technicolor, Corman opte pour un noir et blanc somptueux, une imagerie proche du néo réalisme, et malgré les difficultés, le réalisateur sait toujours faire preuve d'audace dans sa mise en scène, joue avec le cadre, les arrière plans et les contrastes. Les scènes chocs se succèdent, avec pour point culminant le discours de Cramer, magistralement filmé devant une véritable foule de badauds, et ses plans resserrés sur les visages de plus en plus convaincus par le discours et les amalgames haineux de leur orateur, illustration parfaite des manipulations de masse par les populistes, du début du siècle à aujourd'hui, utilisant les peurs et les faiblesses intellectuelles de leurs interlocuteurs. Cette scène garde 60 ans plus tard, la même puissance et la même modernité. Justement, à propos de cette manipulation, On notera la volonté du réalisateur de ne pas être dans le jugement, d’éviter de porter un regard moral qui accompagne souvent ce genre de récits. La description de la population malgré quelques clichés et caricatures semble plutôt nuancée. Sans chercher à excuser son racisme quotidien, la foule est une entité désemparée face à une transformation sociale trop rapide pour elle et confrontée à une histoire qui l’a forgée dans la haine du «nègre » plus ou moins malgré elle. On pourra aussi remarquer, subtilement dissimulée par l'écriture de Beaumont (le romancier à l'origine du scénario) une analyse psychanalytique du comportement des habitants de cette petite ville calme du sud, soudainement réveillée de sa torpeur estivale, excitée et galvanisée par cette loi désegregationiste et l'arrivée de cet intruder, catalyseur de libidos innassouvies.
Pour conclure, the intruder est un film à voir absolument, souvenir d'un monde pourtant proche, qu'on a du mal à imaginer aujourd'hui, même si le mal n'a pas totalement disparu. Echec financier de son réalisateur, malgré une récompense à Venise, il n'en demeure pas moins son film le plus ambitieux, le plus politiquement engagé et le plus artistiquement abouti, ce qui nous fera regretter qu'il soit sûrement à l'origine des choix plus "raisonnables" de la suite de sa carrière.