« Mauvais souvenirs ! Soyez les bienvenus vous êtes ma jeunesse lointaine. »
Cette citation ouvre le film et en dit long sur ce qui nous attend. S'en suit une des scènes d'ouverture les plus belles et les plus mythiques de l'histoire du cinéma. Un plan sur les champs Elysées, cadrage au cordeau avec l'arc de Triomphe en fond, voyant l'armée allemande fouler les pavés de l'avenue la plus célèbre du monde. Une scène inimaginable à tourner à l'époque, et qui coûta la bagatelle de 25 millions de francs.
Une fois cette intro imprégnée puis digérée, le réalisateur ne nous laissera pas une seconde de répit, comme aux résistants dont l'histoire nous est contée, filmée telle une marche funèbre, à la fin inexorable, ponctuée de basses besognes et de morceaux de bravoure. De la première à la dernière minute, Melville déploie toute sa panoplie de "plus grand metteur en scène français" dans une succession de scènes cultes. Du transfert de Gerbier en camps de détention par la gestapo, filmée dans un travelling grandiose, à son évasion. De son incartade londonienne où il rencontre De Gaulle, dans une scène quasi mystique, à son retour parachuté, puis de nouveau la détention et des scènes de cruauté quasi insoutenables, Melville travaille sur la couleur pour proposer un nuancé de gris qui pèse de tout son poids sur les protagonistes et l'atmosphère étouffante du récit.
Ce film c'est l'histoire de Melville, il le porta 25 ans en lui, il se raconte, au même titre que Kessel l'auteur du roman, il y a mis ses tripes et sa chair, et cela se ressent, tant le résultat est viscéral, éprouvant. Ventura, bien qu'en froid avec le réalisateur, les deux ne s'adressant plus la parole pendant le tournage, est parfait, silencieux, mâchoire serrée, en ingénieur résistant, marchant tel un fantôme vers sa mort inéluctable.
Melville colle au plus près ses personnages, et nous décrit dans toutes ses nuances ce que fut l'indicible engagement de ces Héros clandestins, démontrant leur courage au quotidien, mais aussi en proie à la tension, la peur, la solitude, la lâcheté, les doutes..
Bref l'armée des ombres est le plus grand film sur la résistance, et un film majeur tout simplement.