Les jeux avec balise [SECONDE CHANCE] sont des jeux rétros auxquels j'ai joué gamin, mais que j'ai lâché trop vite pour me faire un vrai avis. Alors j'y retourne un peu pour voir ^^
Creatures (PC, 1996)
La découverte, la passion éphémère et l’oubli prématuré.
Creatures fait partie de tous ces jeux pour lesquels je n'ai aucune idée de la manière dont j'ai mis la main dessus. Phrase compliquée pour pas grand chose, j’avoue. Ça m'emmerde de l'admettre, mais mon affreux beau-père m'a fait découvrir pas mal de trucs. Il ne souhaitait pas me les faire découvrir, mais il tolérait que je joue avec les CD-ROM qu'il ramenait à la baraque. Je peux au moins lui octroyer ça, même si dès que son PC plantait, ça venait forcément d’un de ces jeux à la con que j’avais installés (un jeu à lui en l'occurrence, ce crétin patenté). Et donc, j'ai lancé ce programme comme d'autres avant lui, l'un des derniers avec Heroes II, avant que je ne m'achète mes jeux de PC moi-même, et qu'ils fassent encore plus souvent planter l'ordi. Dès les premières secondes, j'ai constaté deux choses : je trouvais ça magnifique, et je n'y comprenais absolument rien. Un mois plus tard, quand j'ai décidé d'arrêter (date donnée à la louche et basée sur rien d'autre que des souvenirs à moitié effacés), j'adorais toujours autant la DA, mais j'y captais toujours que dalle. J'ai essayé mille actions différentes, expérimenté des millions d'hypothèses, et bricolé des milliards de schémas mentaux, je n'arrivais pas à progresser. Alors devant l'avalanche de gros blockbusters qui réclamaient mon attention, j'ai lâchement lâché. Désolé ! Trop désolé !
Réappropriation du jeu
Si je me rappelle bien, il y a eu pas mal de promo autour de Creatures. On le vantait comme l'un des premiers programmes ludiques à simuler de la vie artificielle en se basant sur la génétique, l'apprentissage, les réactions biochimiques et certains sens, comme la vue, l'ouïe et le toucher. Un système complexe imaginé par des experts en IA qui ont voulu transposer leur savoir dans un jeu vidéo. Et pas l'inverse, hein. Si on avait eu des développeurs de jeux vidéo en premier lieu, mais intéressés par l'implémentation d'IA dans leur univers, Creatures aurait été complètement différent. Enfin j'imagine, selon moi, je suppose. D'un côté, les gars n'ont pas menti sur la marchandise. On avait bien affaire à une simulation plutôt chiadée, au potentiel immense, bourré de subtilités et de statistiques… mais à l'ergonomie ultra bordélique, ainsi qu'à la prise en main équivalant à une traversée de l'Atlantique en dos crawlé, des poids de vingt kilos attachés à chaque membre. Je crois que j'aurais préféré des mécaniques plus accessibles, même si plus simplistes. Parce que là, je trouvais ça vraiment trop dur. Un constat partagé par une majorité de gens, d'ailleurs. Personne n'a le droit de cataloguer ce jeu dans les simulations de vie. On parle d’un survival horror dans lequel on n'a même pas de contrôle direct sur nos personnages. Où le moindre relâchement de notre vigilance fout en l'air des heures de travail acharné. Pourtant, malgré les embûches, les défauts, et l'interface imaginée par le pire sadique de l'histoire, j'ai adoré Creatures. Le chemin parcouru ensemble fut douloureux, mais tout aussi magnifique et envoûtant. Heureusement, je n'aurais pas tenu dix minutes, sinon.
Du coup, euh, oui. On incarne une sorte d'entité supérieure, un peu à la manière de Populous ou de Dungeon Keeper, dont le rôle consiste à élever des Norns, sortes de petites peluches vivantes et assez mignonnes. Je les trouvais adorables à l'époque. Aujourd'hui, beaucoup moins quand même. Leur tronche me rappelle un peu trop celle d'Hugo Délire à mon goût. Y a un truc dans leurs yeux exorbités qui me gêne. Bon, ça ne suffit pas à justifier leur mort prématurée non plus. La partie commence avec la naissance de l'un d'entre eux, parmi six œufs proposés de base. La bestiole sort de l'incubateur et commence à explorer le monde d'Albia. Au-delà du nom pas hyper recherché (on a affaire à des gros nerds de l'intelligence artificielle, je le rappelle), le “monde” se résume à un seul niveau, assez grand malgré tout, je veux bien l'admettre (la taille d'une propriété de petit nobliau au seizième siècle, on va dire). À partir de là, et sans grande explication, on doit nourrir notre petit animal, l’éduquer, le protéger, le divertir, lui dire quand dormir, lui interdire de manger telle plante très jolie mais très toxique, lui ordonner de dormir car il risque d'en mourir, lui arracher la bouilloire des mains parce qu'il refuse de la lâcher pour manger une tomate à la place, lui retirer la fleur vénéneuse de la bouche, ah trop tard ! Euh, lui filer un médicament en espérant que ça le soigne, le supplier de se coucher parce que là, vraiment, il va clamser s'il ne se repose pas dans une minute, lui claquer une fessée parce qu'il ne fait que monter et descendre dans l'ascenseur, lâcher un bout de fromage devant lui car il crève la dalle mais ne mange rien, et auss… ah merde ! Mort par manque de sommeil. Je lui ai dit vingt fois, à cet abruti ! Nan mais imaginez quand il y en a plusieurs à la fois !! Allez, on recommence.
En vrai, chaque Norn possédant un code génétique unique et aléatoire, on peut souvent tomber sur des individus raisonnables et plutôt intelligents, dotés d’un instinct de survie décent. J'ai vu que certains joueurs et joueuses choisissaient de se focaliser sur les Norns les plus dociles et futés, histoire de se donner le maximum de chances de réussite. Que signifie “se focaliser”, vu que l'on parle de génération aléatoire de comportements ? Et bien, euh, comment dire, on… laisse dépérir les autres. Voilà. Un acte impossible à réaliser pour ma part. Même quand j'avais onze piges, alors que le collège m'avait déjà rendu capable des pires cruautés envers mes congénères. Mais sacrifier des animaux virtuels juste parce qu'ils ont une case en moins, oh non, jamais de la vie ! Ceci explique en partie pourquoi je n'allais jamais bien loin dans une partie, remarque. Au delà du fait que je n'y captais de toute façon rien, et que je n'aurais même pas su identifier un Norn qui en avait sous le coude, d'un autre complètement attardé. J'ai assez squatté Creatures pour voir un Norn mourir une fois, et ça a participé à mon besoin de me détacher émotionnellement de ce jeu. J'allais grave souffrir, si je me liais trop d’affection à ces bestioles. Je me rassure en apprenant que de très nombreux joueurs vivaient le même genre d’expérience que moi, au point d’en avoir le cœur brisé si l’un de leurs animaux virtuels perdait la vie. Les développeurs recevaient des appels téléphoniques de gens dévastés parce que leur Norn préféré avait péri ! Et cette histoire de mec qui a décidé de troller la communauté en partageant sur internet ses profils de créatures traumatisées, qu'il frappait continuellement, à qui il apprenait à avoir peur de dormir et de manger… ou qu'il punissait si elles tentaient de jouer un avec un ballon. OK, le mec est taré, je n'approuve pas du tout ce qu'il a fait, mais il a reçu des torrents d'insultes et dizaines de menaces de mort en retour. Je ne sais pas s'il voulait prouver que les accros au jeu avaient contracté quelques névroses, mais il l'a fait quand même. Avec succès.
Mais je n'ai encore rien dit sur le gameplay ou presque ! D'abord, je voudrais m'attarder sur Albia : la carte sur laquelle on fait évoluer nos bestioles chéries. Pas plus grande qu'une grande baraque et son jardin, en vrai (OK, donc plutôt petit bourgeois du 21ème siècle que nobliau du 16ème), mais on y trouve quand même plein de trucs à faire ! Dans la section principale, que l'on exploite dès le début d'une partie, on a accès à l'incubateur (pour faire éclore les œufs), à l'ordinateur professeur, qui va servir à enseigner le vocabulaire et les principes de base aux Norns, un ascenseur, un téléporteur, un téléphérique, qui permettent tous de se rendre dehors, par différents trajets. Un juke-box et des jouets pour s'amuser, un peu de bouffe, du café. En partant vers la droite, l'extérieur donne sur un petit potager où poussent carottes et radis, mais aussi des herbes aux effets divers. Certaines aident à dormir ou soignent des maladies. D'autres euh, refilent les dites maladies. On peut encore visiter le temple, puis un arbre qui pousse en bordure de plage. Plage que l'on peut traverser via un genre de bac, ou carrément en grimpant dans un sous-marin ! Je l'ai appris super tard durant mes expérimentations, et ça m'a convaincu de persévérer encore un peu pour découvrir une maison encore plus grande que la première, agrémentée d'une mare intérieure, d'une salle de musique et d'autres jouets / plantes / trucs à manger. Et encore à droite, ça boucle sur le tout début du jeu. Comme si on avait fait le tour du monde. Ça m'a rappelé Adibou 2 par certains aspects, notamment l'exploration d'un jardin et d'une maison entouré d'une horde d'êtres vivants à moitié débiles. Mais Creatures peut se targuer d'afficher des graphismes beaucoup plus beaux. Franchement, même aujourd'hui, je trouve ça encore joli.
Venons-en à la mécanique principale : apprendre aux Norns les fondamentaux de la survie. Manger, dormir, savoir s'exprimer, distinguer la nourriture du poison, via un système de récompense (des gratouilles) ou de punition (des claques sur le cul, en mode vieille école, tout ça). Ça paraît simple, mais non, c'était archi dur. Beaucoup trop dur, pour un jeu aussi joli et mignon. Ou alors c’était beaucoup trop mignon, pour un jeu aussi dur. On croit qu’on va dorloter de petites peluches vivantes, alors qu’on lutte en permanence pour éviter qu'elles se suicident ou se laissent mourir. La DA s'adresse plutôt aux enfants, mais le gameplay plutôt à des BAC+13 en biologie, génétique et analyse de data. On nous laisse plein d'outils à disposition, supposément pour nous assister dans notre lourde tâche. Mais toutes ces fenêtres secondaires me refilaient plus de questions que de réponses à chaque fois que je les ouvrais. Le scanner du cerveau, la page sur la génétique, le nombre de chromosomes et de neurones, les graphiques de besoins, d’hormones. Les bilans sanguins et les courbes d'anticorps… Ouah ! Eh ! J'ai onze ans ! On peut pas juste jouer au foot avec les Norns et leur cuisiner des cordons bleus au micro-ondes ? Bon, voilà, il faut juste retenir un truc. Si on s’en sort bien, on parvient à élever des Norns en super bonne santé qui s’occupent tout seuls, qui se reproduisent et donnent vie à des bébés de plus en plus intelligents (sauf mutation génétique imprévue aux effets néfastes). Dans le cas contraire, on plonge à pieds joints dans le chaos le plus total. Le gameplay nous limite trop, tout autant qu'il nous octroie trop de libertés. Si on l'a décidé (et qu'on fait partie des pires enflures de la planète), on peut inculquer n'importe quoi à nos protégés. Qu'une tomate se nomme en fait un flingue. Que la gauche se trouve en haut, et la droite… en haut aussi. Qu'une toupie est un monstre horrible qu'il ne faut pas approcher, ou que frapper ses enfants est la meilleure manière de leur prouver qu'on les aime. D'un autre côté, on peut ramasser des citrons ou des pots de miel, mais pas attraper les Norns, qui ont pourtant conscience de la présence de notre curseur. On veut caresser Paupiette parce qu'il a enfin réussi à prononcer la phrase “Paupiette court vers téléphérique voir Biboune”, mais on clique trois pixels à côté et on le frappe à la place. Le voilà tout effrayé par la grammaire, maintenant. Pour se détendre, il ira manger un champignon mortel, et refusera de prendre son médicament. Allez, huit heures de travail acharné partis dans le vent pour une fessée involontaire.
Nouvelle plongée dans l’OST
Je ne sais pas si on peut parler d'une OST, concernant Creatures. À part la musique qui accompagne la cinématique d'intro et quelques feedbacks sonores, on a quoi ? Ah oui, le truc pseudo jazzy qui sort du juke-box, et dont je ne parlerai pas, car elle appartient plutôt à un épisode de Benny Hill qu’autre chose. Bon après, les sons d'ambiance et ceux que produisent les appareils étranges propres à Albia, je les adore toujours autant aujourd'hui. Il en transpire une réelle cohérence, qui rend le morceau d'introduction encore plus beau, même si ça se cantonne à la même instru un peu éthérée mignonne. Elle me rappelle le Cinquième Élément, parfois. Et avouons que ce qui a le moins mal vieilli dans ce film, c'est bien sa musique. Mes sincères salutations respectueuses à Éric Serra, mais pas à Luc Besson. Bref, dans le cas de Creatures, on dirait que le compositeur Andrew Barnabas venait de se faire offrir un synthé, qu'il avait flashé sur une instru du genre “space dolphin” et qu'il a décidé de l'utiliser absolument partout, absolument tout le temps. Bon, il a signé la B.O. de MediEvil après, donc on le pardonne. Mais quand même, j'aurais adoré deux ou trois autres boucles à écouter pendant mes parties ! Oui, avec le même synthé, si ça aurait fait plaisir à Andy ! Sur PlayStation, ils y ont bien eu droit ! Certes, en ayant dû attendre cinq ans de plus que les joueurs PC, et pour un jeu apparemment très différent (et pas du tout apprécié). D'accord, de toute façon, les Norns gâchent tout, avec leurs piaillements qui se superposent, là ! Plus il y en a, moins ça devient audible (je ne caserai pas de réf à Brice Hortefeux ici, non mais oh). Donc mieux on jouait, moins on pouvait écouter quoi que ce soit, à part une cacophonie informe de cris et geignements. Reste que j'ai mis du temps à retrouver ce fameux morceau d'intro. D'ailleurs, j'ai dû le piquer d'une vidéo YouTube, que j'ai coupée et transformée en fichier MP3. D'où la qualité merdique. Mais je n'allais pas risquer de retomber addict au jeu en le rachetant et en y rejouant, juste pour vous proposer ce bout de chanson avec un meilleur échantillonnage. Je vous aime, mais je ne suis pas votre victime. En tout cas, quand je l’ai enfin réécoutée, je vous raconte pas les frissons de nostalgie que j'ai pris dans la tronche. Enfin dans le dos. Magique.
Creatures - Intro
Regrets ou pas ?
Ah oui. Oh là oui oui oui ! J'aurais tellement kiffé dorloter ma famille de Norns sur plusieurs générations, maîtriser toutes les features et les subtilités du gameplay, aussi exigeant et chronophage fût-il. Qu'est-ce qui m'a pris de tout laisser tomber ? La honte d'avouer aux potes que je me cramais le cerveau sur Creatures, au lieu de me bidonner sur Duke Nukem 3D, ou de détruire des pays entiers sur Alerte Rouge ? Possible. Stupide, vu depuis mon prisme de quasi-bommer actuel, mais possible. J'avais besoin de rester dans le moule à onze ans, question de survie sociale. Mon statut de méga boloss m'empêchait d’imposer mes idées, même les moins farfelues, aux élèves du collège qui acceptaient de m'écouter. Et ce sentiment de stagner en dépit de tous mes efforts, ça m'a bien refroidi aussi. Je n'ai jamais osé prendre le risque de m'aventurer sur Creatures 2. Pourtant, j'ai bien salivé sur les articles et images qui en parlaient. Apparemment, il demandait une capacité d'abandon de soi encore supérieure. Autant dire que je dois fuir ce truc comme le Covid-19 multiplié par le cancer des sourcils. Cette franchise a eu un certain succès, n'empêche. Engendrant suites, spin-offs, suites de spin-offs et spin-offs de suites. Bizarre de trouver aussi peu de vidéos sur le premier jeu. Surtout si j'ai l'outrecuidance de chercher une définition d'image moins immonde que du 72p. Mais en rematant ces vidéos, aussi rares soient-elles, j'ai eu grave envie de me reprendre une copie sur GOG. Je n'ai pas encore réussi à me convaincre de ne jamais le faire, d'ailleurs. Sauf que si je le relance, les mêmes soucis vont se poser. Je n’ai pas gagné beaucoup de neurones depuis mes onze ans, peut-être même que j’en ai perdu, alors je ne pense pas pouvoir faire mieux qu’à l’époque. Oui mais ! Des fans ont créé plein de petits mods ! Notamment pour rendre certains objets interactifs plus intéressants, ou pour permettre de meilleures relations entre les Norns et les Grendels, l'autre espèce intelligente du jeu. Et j'avais aussi oublié qu'on pouvait importer nos propres images, et ainsi créer nos propres Norns ! J'aurais pu en finir avec ces aberrations qui naissent avec une coupe au carré blonde, ou une crête de punk argentée. Ohlalalalala ! Vite ! Que le quotidien de la vraie vie me rattrape avant que je craque ! Tiens ! Mon gosse est malade ! Oh flûte ! J'ai pris une amende parce que j'ai garé la caisse sur la ligne jaune qu'a fait tracer un voisin sur le trottoir en face de chez lui, juste parce qu'il est trop débile pour sortir sa grosse Merco de son garage ! Aaaah merci la vraie vie ! On peut toujours compter sur toi pour redescendre sur Terre.