
Sorti en 1953 et réalisé par Yasujirō Ozu, Voyage à Tokyo est considéré par beaucoup comme le chef-d'œuvre du réalisateur japonais. Il film est donc sorti il y a plus de 70 ans dans son pays, mais il aura fallu attendre 1978 pour le voir (légalement) en salle en France, quinze ans après la mort de Yasujirō Ozu. Voyage à Tokyo est un film dramatique qui parle du temps qui passe, de la famille, de la nostalgie, de la solitude et d'une société qui évolue beaucoup trop vite pour nos deux protagonistes principaux. Le film est très soigné sur le fond, mais aussi sur la forme, qui épouse le fond. C'est un style très lent et posé, avec beaucoup de répétitions dans les cadres, pour souligner la routine. Vous êtes donc prévenus, ici, on est clairement pas chez Marvel.
Dans un Japon post seconde guerre mondiale, un couple de personnes âgées Shukishi et Tomi (Chishû Ryû et Chieko Higashiyama) décide de quitter leur village dans la campagne pour rendre visite à deux de leurs enfants Koichi et Kuniko (Sô Yamamura et Kuniko Miyake) qui vivent désormais à Tokyo. Les grands-parents vont très vite devenir des fardeaux pour des parents jeunes adultes qui ont beaucoup d'autres choses à gérer (enfants et travail). Et c'est finalement la belle-fille Noriko (Setsuko Hara), qui était mariée à l'un de leurs fils décédé durant la seconde mondiale, qui les accueille le mieux. Les grands-parents vont déambuler à Tokyo, être envoyés dans une station balnéaire, puis revenir dans les pattes de leurs enfants qui ne savent guère quoi faire d'eux. Shukishi et Tomi se rendent compte que la société a bien changé, à l'image de leurs enfants qui ont bien grandi.
Voyage à Tokyo est un film typiquement japonais, très contemplatif, avec beaucoup de non-dits et de subtilité dans l'étude des sentiments. La caméra est placée là, pour raconter des choses autrement que par des mots. A l'intérieur des appartements, la caméra est placée à hauteur du sol, avec un second, voire même un troisième plan, pour mettre en avant des objets, des meubles et des personnages qui se déplacent d'un plan à l'autre. Et dés qu'un dialogue intervient, qui d'ailleurs ne sont pas très nombreux, on passe au champ-contrechamp très proche des visages. L'expression des visages semble dire tout autre chose que les mots qu'ils prononcent (ou l'art du non-dit).
Le film oppose les parent de la nouvelle génération qui vivent dans un Tokyo hyper moderne (et post bombes d'Hiroshima et de Nagasaki) et les grands-parents de l'ancienne génération qui vivent à la campagne à sept cent kilomètres de là. Tout va trop vite pour Shukishi et Tomi, mais aussi pour leurs enfants qui ne prennent pas le temps de vivre et de profiter de l'instant présent. Et puis il y a la nouvelle génération, les petits-enfants de Shukishi et Tomi, qui parlent mal à leurs parents. Les traditions, les coutumes et le respect envers les ainés se perdent dans ce Japon "occidentalisé" par les américains ... tout part à vau-l’eau, quoi ! Enfin, tout part à vau-l’eau dans l'esprit de Yasujirō Ozu, qui a connu le Japon de l'avant-guerre, pendant la guerre et de l'après-guerre. On sent bien le regard désapprobateur d'un réalisateur traditionniste sur un japon moderne qui ne respecte plus rien, même pas ses ainés.
Le film est vraiment très beau, avec des cadres et des plans qui font penser à des tableaux. Et puis, il y a la beauté du visage des acteurs, dont la très belle Setsuko Hara qui est d'une beauté troublante. Cette beauté contraste avec le drame qui se déroule sous nos yeux. On devine très vite que ce voyage à Tokyo pourrait très bien être le dernier voyage des grands-parents ...
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