Je viens de mater Sonatine et Hana-bi de Takeshi Kitano ...
Sorti en 1993 et réalisé par Takeshi Kitano, Sonatine est un film noir prenant place dans l'univers des Yakusas. Comme dans la plupart des films de Takeshi Kitano, on nous invite à faire une plongée au cœur de la mafia japonaise. Et devant la caméra, on retrouve de nouveau Takeshi Kitano, qui joue souvent le premier rôle dans ses films. On se concentre ici sur l'humain, avec de nombreux moment contemplatifs. C'est le genre de film qui sait prendre son temps, lent, indolents et endoloris, brumeux et mélancoliques ... aux images soignées et aux longs plans fixes de visages surannés. Et puis soudainement, la violence surgit, des moments de tueries d'une extrême violence. Le mélange des genres détonne.
Nous sommes à Tokyo, au milieu d'une guerre de clans, et on va suivre Aniki Murakawa (Takeshi Kitano) l'un des chefs de territoire local qui dépend lui-même d'un big boss au dessus de lui. Murakawa est un peu en fin de course à ce stade de sa vie/carrière de yakusa. Il pense donc à se retirer des affaires et c'est à ce moment là que son patron lui confie une (dernière) mission qui s'annonce compliquée, puisqu'il devra réconcilier deux clans rivaux. Très vite, la situation dégénère, il perd certains de ses hommes et doit se retirer sur une plage pour profiter d'une relative accalmie avant l'acte final qui promet d'être très violent.
Sonatine est à l'image son réalisateur Takeshi Kitano, c'est du cinéma exigent, brute, pas facile d'accès et qui ne ménage pas son public. C'est un film de gangsters, sans en être vraiment un. Il détourne les films de Yakusas pour en faire un film noir à la mécanique bien huilée. La mise en scène est austère et efficace. Les plans sont longs, peu bavards, les décors ciselés, le montage minimaliste. Il y a de nombreux emprunts au cinéma de Jean-Pierre Melville, à travers la perfection froide du cadrage et de la photographie, l'abandon des personnages au profit de figures mythiques et un sens inné de la tragédie. Takeshi Kitano est manifestement un amoureux du cinéma de Jean-Pierre Melville, chose qu'il partage avec John Woo ... et pourtant, avec Sonatine on est aux antipodes du cinéma spectaculaire de John Woo.
Dans Sonatine, pas de fusillades spectaculaires à la John Woo, pas de scènes d'action stylisées, mais des scènes d'actions brutales, expéditives et réalistes. Le jeu de Takeshi Kitano est minimaliste au possible, pas d'expressions faciales et est économe en mots. Il reste impassible tout le long du film et ça peut déstabiliser quand on est pas habitué à son cinéma. Et qui mieux que Kitano pour se diriger lui-même ? C'est donc un film à l'image de Takeshi Kitano, un film de Takeshi Kitano pour Takeshi Kitano. Sans connaitre le bonhomme dans la vraie vie, qui pourtant s'est fait d'abord connaitre pour son humour potache à la télévision japonaise, le désespoir et le pessimisme du personnage transparait à l'écran.
Malgré toutes ses qualités, à savoir la très belle BO de Joe Hisaishi (le compositeur attitré de Hayao Miyazaki), un scénario de guerre des gangs intéressant et une mise en scène soignée, Sonatine est un film difficilement appréciable. Je ne peux pas nier que j'ai parfois trouvé le temps long et que je me suis pas mal ennuyé pour cette première introduction dans le cinéma de Takeshi Kitano. Mais je ne vais pas renoncer au bonhomme et vais m'empresser de regarder d'autres films de ce monsieur, à commencer par Hana-bi qui semble faire l'unanimité pour lui.
Sorti en 1997 et réalisé par Takeshi Kitano, Hana-bi est largement considéré comme étant le meilleur film de son réalisateur/acteur et même comme un chef-d'œuvre du cinéma nippon, voire même du cinéma tout court. C'est donc avec beaucoup d'attente que je me suis lancé dans le visionnage de ce film, après avoir vu au préalable Sonatine qui m'avait été recommandé pour m'initier au cinéma de Takeshi Kitano. Ma réception fut étrange pour Sonatine et elle n'est pas fondamentalement différente pour Hana-bi. Que ce soit sur le fond ou sur la forme, Hana-bi s'inscrit dans la parfaite continuité de Sonatine. Les deux films boxent plus ou moins dans la même catégorie, à savoir un polar noir prenant place dans l'univers des Yakusa, avec une mise en scène clinique et un jeu d'acteur très minimaliste de Kitano. Résultat, on se retrouve face à un film contemplatif, froid et sans concessions. Bref, le cinéma de Takeshi Kitano, ce n'est pas fun du tout !
Une fois de plus, Takeshi Kitano joue le héros de son film, Yoshitaka Nishi qui est un inspecteur de police dont l'épouse Miyuki (Kayoko Kishimoto) est gravement malade. Rien ne va dans la vie de Nishi, sa femme est donc gravement malade d'une leucémie, mais comme ça ne suffisait pas, il a perdu sa fille unique, il ne supporte plus son boulot et ses supérieurs, l'un de ses collègues meurt sur une intervention et un autre nommé Horibe (Ren Ôsugi) devient paraplégique ... difficile de faire plus noir comme tableau. Complètement désabusé et désemparé, Nishi décide de tout plaquer pour s'occuper de son épouse avant qu'elle ne décède et de profiter de la vie avec elle pour le temps qui leur reste. Mais Takeshi Kitano oblige, le personnage de Nishi va bien sûr emprunter la voie de la violence et de l'illégalité en fricotant avec les yakusas.
Hana-bi est un drame social très sombre et jusqu'au-boutiste dans sa manière d'aborder le polar noir, très noir. C'est un film totalement pessimiste, sans le moindre rayon de soleil et sans la moindre légèreté. Ce n'est vraiment pas un film qui donne une bonne image de la société japonaise et qui ne donne vraiment pas envie de visiter ce (pourtant) si beau pays. On est tout de suite plongé dans le côté sombre du Japon, avec les yakusas et des flics corrompus. C'est aussi un film de vengeance, puisque Nishi veut prendre sa revanche sur une vie qui en l'a pas épargné, c'est le moins qu'on puisse dire ! C'est aussi une tragédie, puisqu'on sait bien que tout ça, ça ne peut que finir mal pour lui. La mort l'attend au bout de son parcours, pout lui mais aussi pour son épouse. Il n'y a aucun espoir pour sa femme qui se sait condamnée, alors Nishi décide de vivre chaque jour comme si c'était son dernier.
Et en parallèle du parcours de Nishi, nous suivons aussi l'histoire de son collègue paraplégique, dont l'histoire n'est d'ailleurs pas beaucoup plus rose que celle de Nishi. Lui aussi se sent complètement désabusé et désemparé, sa femme l'a quitté à la suite de l'intervention qui lui a coûté ses jambes et par conséquent, il veut en finir avec la vie. Son seul rayon de soleil et la raison pour laquelle il va encore se raccrocher à la vie, c'est sa passion pour l'art et plus précisément, pour la peinture. Si Takeshi Kitano est sans concession envers son personnage, il va quand même vouloir sauver Horibe, histoire d'apporter une petite lueur d'espoir dans tout ça, mais alors une toute petite lueur d'espoir.
La mise en scène est très lente, avec beaucoup de plans fixes et beaucoup de silences. C'est encore un parti pris de mise en scène qui ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut vraiment aimer le cinéma contemplatif pour apprécier ce film à sa juste valeur. Comme avec Sonatine, je ne peux pas nier que je me suis un peu ennuyé et que j'ai parfois trouvé le temps long. Par contre, le montage est beaucoup plus dynamique ici, avec deux histoires montés en parallèles et une narration non linéaire qui demande de la concentration de la part du spectateur. On a beaucoup de flashbacks et de plans en ralentis, du plus bel effet. Ce choix de narration éclatée, c'est d'ailleurs ce qui m'a permis de me raccrocher au film dans les moments où je commençais à décrocher, à cause du rythme très lent. En tout cas, c'est un film que je conseille, même si je ne serais pas aussi dithyrambique que certains adorateurs du cinéaste. (6.5/10)