Another World (Atari ST, 1991)
La découverte, la passion éphémère et l’oubli prématuré.
Je parle de la version Atari ST, car d’une, elle fait partie des deux originales, et de deux, j’y ai un peu joué chez mon meilleur pote de primaire. On arrivait jusqu’au moment où la grosse bestiole nous course (environ à deux min de jeux, quoi), et on arrêtait l’ordi tellement on flippait de fou ! J’ai entr’aperçu un mini bout de la suite de l’histoire chez mon cousin sur Super NES, et ça n’a rien arrangé à mon angoisse. Alors du coup, j’ai mis ça de côté, et à part quand on se marrait en se souvenant de nos crises de peur avec mon super copain, j’ai complètement zappé ce jeu. Jusqu’à récemment, où je me suis dit :”Trop stylé Another World, quand même, faudrait que je me replonge dedans vite fait.” Bah voilà, j’ai replongé… vite fait hein.
Réappropriation du jeu
Ouah ! Cette intro de dingue ! Je ne me rappelais pas qu’elle était si longue, ça devait relever de la prouesse technique à l’époque, non ? Et l’arrivée dans l’eau qui sert de transition au début du jeu, juste magnifique. Ensuite, comment ça marche ? On incarne un gars qui n’a rien d’autre que ses baskets pour affronter ce monde hostile qui s’offre à lui. Dix secondes plus tard, le voilà qui défonce des grosses limaces à base de low-kicks tout droit sortis de Mortal Kombat. Sacrées baskets. Sinon, il se pose la question de ce qu’il fout là ? Non, pas le temps, les bestioles possèdent un dard venimeux qui pourrait le buter en un clin d'œil, alors… il court, il éclate des mollusques démoniaques, il saute, il court et… wow, l’énorme machin qui nous suivait de loin en arrière plan, il surgit devant nous en montrant les crocs et… OK, je résiste à la tentation de tout arrêter comme quand j’avais sept ans, et je continue. L’avatar enchaîne tout un tas de péripéties, tout aussi dangereuses les unes que les autres : s’enfuir d’une prison, échapper à une inondation souterraine, esquiver des éboulements, poser un lapin à des méchants humanoïdes ressemblant à des ogres, se faire la malle d’une arène en conduisant une sorte de tank… beaucoup de choses en rapport avec le fait de contourner les problèmes, ouais. Je vous ai parlé des tentacules qui pendent au plafond des grottes ? Bah il faut s’en échapper aussi.
Heureusement, on ne fait pas que fuir. On récupère un flingue assez vite pour supprimer quelques obstacles (et ainsi s’échapper plus facilement, OK). Le gun peut aussi créer un bouclier, un peu obligatoire pour terminer le partie sans crever, vu comme ça canarde dans tous les coins à la fin. Quelques phases de réflexion avec portes à ouvrir, un pote à se faire parmi les brutasses humanoïdes, et voilà. On tient le cœur du truc. TOUT ÇA POUR S'ÉCHAPPER AU DOS D’UN GENRE DE DRAGON BIZARRE. Ça fait un peu juste, même pour un jeu de 1991. Prince of Persia, avec qui il partage pas mal de similitudes tout en étant plus vieux de deux ans, éclate Another World en termes de contenu, Toejam & Earl aussi (rien à voir, mais je compare quand même, 1991 quoi). Même un Game & Watch propose mieux que… non, allez, quand même pas.
Pourtant, on ressort de là refait comme jamais. Avec l’impression d’avoir vu un super film (un court métrage, certes) dans lequel on a un peu joué le rôle de l’acteur principal. Je pense qu’il faut voir Another World comme une aventure interactive, plutôt qu’un jeu classique (bon, c’est pareil en fait, non ?). Un titre qui transcende les limites d’un gameplay simpliste, pour nous offrir une expérience unique en son genre (du moins dans ces années-là), où l’immersion se fait si intense qu’on en oublie tout le reste. En ce sens, Eric Chahi fut en avance sur son temps, tout en créant une œuvre suffisamment accessible pour toucher un très large public, et obtenir un succès critique retentissant. Allez, j’arrête de me prendre pour un critique au melon hypertrophié, j’ai peur que ça me corrompe à tout jamais. Reste que l’ambiance d’Another World, elle claque sa mère. Elle rattrape n’importe quel défaut que l’on pourrait reprocher au jeu (comme la durée de vie ou l’extrêêêêême rigidité des déplacements, entre autres). Cette noirceur qui émane de tous les plans fixes, l’hostilité qui transpire de chaque sprite, les décors basiques mais oppressants, la vulnérabilité de notre avatar… et les micro cutscènes qui illustrent ses nombreuses manières de mourir ! Cette classe infinie. Un petit détail indispensable.
Nouvelle plongée dans l’OST
La musique nous vient de Jean-François Freitas, apprend-on dans les crédits de fin. Oui mais… la version Atari n’a pas de musique du tout ! L’Amiga (l’autre version originale du jeu) a une intro et une fin, déjà. Basons-nous là-dessus. Parce que sur Mega Drive et Super NES, euh, rien à voir ! Même si on a droit à plus de morceaux, mais composés par d’autres gens. Pourtant, un vinyle incluant 18 pistes est sorti en 2017, celles-ci attribuées à monsieur Freitas. Je ne comprends rien. Je crois que ça vient de la version Sega CD, mais eh, gros bazar (j’ai pas écouté, flemme). Trop compliqué pour moi. Jeff n’a apparemment bossé que sur ce jeu, ses ports et remakes, éditions anniversaire et tout et tout (à part un truc obscur de 1986, bon). Sacrée implication ! Alors, que dire d’une OST composée d’un seul track et demi ? Que ça sonne pas mal, mais qu’on reste un peu sur notre faim. Ouais, encore que dans ce cas précis, le silence apporte une grosse valeur ajoutée à l’atmosphère. Merci au compositeur de n’avoir presque rien foutu, donc. Pour de vrai !
Another World - Intro
Regrets ou pas ?
Another World transpire vraiment la classe, rien à redire là-dessus. Mais tout compte fait, je crois que je préfère rester sur mon impression de base, plutôt que d’avoir persévéré. Comme ça, je continue de barboter dans mes souvenirs de gamin terrorisé par le lion bizarre, et j’entretiens ma peur au lieu de l’avoir surpassée dès la scène suivante, où on oublie ce bestiau direct une fois flingué. Et puis, en primaire, annoncer fièrement “J’ai fini Another World !” dans la cour de récré, ça aurait impressionné qui ? 90% des gamins étaient trop occupés à se taper sur la tronche pour prouver que Mario valait mille fois Sonic, et inversement. Les 10% restants leur tiraient des Hadoken (ou des Kamehameha) dessus à distance, ou perfectionnaient leur propre version du Shoryuken dans un coin de la cour, ignorant ce qui se tramait autour d’eux. Alors ouais, je garde cette part sombre du jeu dans ma mémoire, ce voile de mystère qui lui convient si bien. Il a déjà été ressorti, reconverti et ressuscité tellement de fois, laissons-le tranquille pour de bon, maintenant.
