En plein réaménagement de grenier, j'en ai profité pour farfouiller dans les étagères de bouquins remontant à l'adolescence,
et pour relire ces jours-ci les romans de SF suivants :
Space Opera, de Jack Vance
Un titre plus qu'à propos, jouant à la fois sur l'appellation du genre en tant que tel, et sur l'argument du récit, qui voit précisément une troupe d'opéra partir dans un voyage galactique pour tenter de diffuser l'esthétique musicale humaine à travers le cosmos...
Comme toujours chez Jack Vance, beaucoup de verve et d'ironie à l'égard de ses personnages, et une science de la description toujours incomparable, qui joue pour beaucoup dans l'attrait de ses textes.
Un récit recommandable, mais pas en premier texte de cet auteur.
les Chroniques de Durdane (trois tomes), de Jack Vance
Une trilogie de récits relativement brefs (moins de 200 pages chacun), qui s'ouvre sur un de ces mondes dont Vance à le secret de la description, et entraîne le lecteur dans un univers bigarré, à l'aventure aux côtés d'un jeune protagoniste en quête de liberté...
Le tome deux, récit d'un antagonisme plus classique, celui d'une guerre mené contre une mystérieuse espèce d'envahisseurs, reste épique et porté par un souffle vancien toujours aussi riche en ce qui concerne l'exo-ethno-folklore.
Le tome trois, lui, vient renverser la perspective, en n'hésitant à transporter l'intrigue et les protagonistes hors de leur monde, dans une quête spatiale qui change passablement et la donne, et le ton du récit.
Une présentation critique peut en être lue
ici.
L'avis en question est relativement dur avec le tome trois, qui reste tout à fait honorable, mais perd, il est vrai, pas mal de la verve initiale. On sent également comme une forme d'accélération dans le cours du récit, qui aurait peut-être gagné à être développé de façon plus posée (au prix d'un quatrième opus ?)...
L'un des éléments qui restent saisissants dans chacun des trois livres, c'est la façon dont est amené leur dénouement : leur chute, à chaque fois abrupte au possible, est pleine de sous-entendus, ouverte au possible, et laisse le lecteur dans une forme d'expectative quant à la suite des événements. Une science de la sobriété qui met encore davantage en valeur l'exubérance des divers lieux visités au cours des textes.
le Maître du haut château, de Philip K. Dick
Un texte très connu de l'auteur (et qui a fait apparemment l'objet d'une adaptation en série assez récemment ?).
Je partage ci-dessous quelques notes à son sujet.
Roman déroutant. Uchronie située l'année de sa publication (1962), il y a de cela 60 ans, dans un monde dominé par l'Allemagne nazie et le Japon, après une victoire de l'Axe intervenue en 1947. on y suit en parallèle une demi-douzaine de protagonistes plus ou moins liés entre eux, sur une quinzaine de chapitres. Le Yi king (le Livre des transformations), dispositif divinatoire pouvant servir d'oracle sur la base d'une combinatoire mêlant hexagrammes et composition de versets, y joue comme un rôle d'ex machina, ou de moteur du récit (quoique d'une façon selon toute apparence dévoyée).
Plusieurs passages quasi-mystiques (la vision de Tagimo au chapitre 14, le vendeur veule se rebiffant face à l'humiliation au terme d'une errance psychologique au chapitre 11) largement fondés sur une narration omnisciente détaillant l'intériorité, le flux de conscience des personnages.
Minutie manifeste des recherches effectuées sur l'Allemagne nazie et ses protagonistes, dont bon nombre de dirigeants sont mobilisés à un titre ou un autre au cours du récit, de même que divers événements historiques détournés de leur cours historique (l'assassinat "évité" de Heydrich, la menace atomique sur le Japon...)
Effort tout aussi notable du côté japonais, mais avec nettement moins de réussite : noms de personnages invraisemblables, parachutage de citations littéraires "classiques" absolument hors de propos, mentions en vrac d'ordre psychologique des moins crédibles, attitudes et propos incohérents par rapport au contexte culturel japonais...
Et pourtant, le roman réussit par moments à capter quelque chose d'ordre japonais : manifestement, certaines des sources auxquelles a puisé l'auteur furent plus pertinentes (et utilisées à meilleur escient) que d'autres.
Outre l'argument réflexif (selon un principe gigogne) à l'égard de la notion même d'uchronie, ressort littéraire des plus puissants qui soient, qui met le récit tout entier sous tension, sous la forme de citations de passages d'un roman uchronique interdit narrant un cours de l'histoire inversé, où les Alliés auraient remporté la victoire (un monde quasiment comme le nôtre, en somme), peu d'éléments restent en mémoire. Lu il y a une trentaine d'années, sans en avoir rien gardé en mémoire que cet argument essentiel, ce jeu de superposition de miroirs déformants fondamental dans le dispositif, et l'idée même du livre.
Solidité de la construction et de l'intériorité des personnages, beaucoup de sous-texte et, manifestement, d'intentions de l'ordre du commentaire en miroir, du "gant discursif retourné".
Offre un aperçu assez saisissant d'une certaine perception américaine du Japon à cette époque, à la fois étonnamment précise à des instants ou des égards donnés, et largement plus approximative et fantasmée la plupart du temps.
Une énigme d'écriture comme de lecture.