Durant les années 90, je voyais une cousine très régulièrement, genre deux fois par mois à peu près. Avec ma mère et ma petite sœur, on allait plus souvent chez elle, qu’elle ne venait chez nous ; sa maison éclatait totalement notre appart en termes de taille, de nombres de spots à explorer, et surtout d’existence de jardin. Même si on ne jouait pratiquement jamais aux jeux vidéo ensemble (à part quelques Game & Watch), cette cousine appartenait à ce cercle si particulier, de propriétaires à la fois d’une Mega Drive et d’une Game Gear ! Comme moi. Même mon cousin / mentor / tortionnaire vidéoludique ne pouvait se vanter d'une telle prouesse. OK, il ne faisait que répéter qu'il détestait la MD, mais il a quand même eu une Game Gear, donc sa haine présumée de Sega, il pouvait bien se la mettre au… bref. Je l'ai totalement adulée, cette cartouche de Wonder Boy III. Je n'ai plus touché qu'à ça pendant un bon moment, ensorcelé par les mécaniques de transformation et les items qu'on pouvait s'acheter au shop. J'ai juste arrêté car je n'arrivais plus à avancer, bloqué par je ne sais plus quelle énigme, et puni par l'impitoyable chronomètre qui m'empêchait de prendre le temps de réfléchir. J'ai persévéré autant que j'ai pu, encore et encore, recommençant du début, d’accord, d’accord, mais butant toujours sur le même obstacle (lequel ? Oulà, du diable si je m’en souviens). À l'époque, je ne savais pas où dénicher les soluces (ou plutôt, je ne m’emmerdais jamais à chercher des soluces), et ma cousine n'a pas pu m'aider. Alors je lui ai rendu le jeu, me consolant sans doute en passant sur
Columns ou
Slider. Je me retrouvais coincé aussi, alors je devais probablement allumer la Mega Drive pour me finir en éclatant des criminels sur
Robocop vs. Terminator. Là au moins j'y arrivais.
Réappropriation du jeu
Pourquoi ai-je l'impression de n'avoir joué à ce jeu que chez ma mère ? Alors que la Game Gear chauffait surtout quand j'allais chez mon père. Aucune idée. Peut-être que ma cousine m'avait motivé à l'allumer grâce à Wonder Boy III, justement, au lieu de me jeter sur la console de salon. Ou alors je mélange des trucs, et j'ai oublié la moitié de mes sessions. On s'en fiche, non ? Enfin vous, oui. Pardon. Il n'empêche que des jeux comme ça, je n'en ai pas testé beaucoup ! Celui-là combine à la fois plateforming, exploration du monde et progression de notre personnage. On le qualifierait sans doute de metroidvania aujourd'hui, ce qui me ferait lâcher un long soupir d’exaspération. Ouais, j'aime pas le changement, le vocabulaire qui évolue, le progrès, tout ça. J'appelle toujours ça un action RPG à scrolling horizontal, moi. Gamin, j’appelais ça un jeu de rôle de gauche à droite où il faut aussi faire comme dans Sonic pour avancer. Carrément mieux, nan ? Bon, tout ça pour dire qu'on embarque dans une jolie aventure faite de baston gentillette, de découvertes édifiantes, et de quelques crises de rage aussi. Point de sauvetage de princesse en détresse, ou de potiche kidnappée par un agresseur jamais condamné, alors que pourtant multi-récidiviste. Ici, on se la joue perso. Wonder Boy, le bien nommé protagoniste, a apparemment pris une malédiction sur la tronche dans le jeu précédent. Et il veut juste s'en débarrasser, quoi. Normal, simple, logique, efficace, sans polémique, intemporel et inattaquable sur le fond. D'ailleurs, je n'en savais rien sur le moment, puisque je n'ai touché à aucun autre titre de la saga, mais le niveau servant à nous familiariser avec le jeu reprend le dernier stage du périple précédent. En plus facile, bien sûr ; qui d'un tant soit peu sensé aurait fichu une zone archi dure en guise de tuto ? Allez, personne ne survit aux deux premières minutes de gameplay ! 19/20 ! Chef-d'œuvre absolu.

Ah oui, ce jeu avait déjà trois ans lorsqu'il a montré le bout de sa jaquette sur Game Gear. Il squattait toute bonne ludothèque de Master System depuis 1989 (pas la mienne, donc). J'en parle maintenant parce que j'ai pris des screenshots de Master System. Ceux de la Game Gear font trop mal à mes yeux fatigués ; et encore, quand j'en trouve. Ras-le-bol de se coltiner des images zoomées en 64x64. Alors donc, une fois le tutoriel passé, dans lequel on semblait plutôt en bonne forme et vaguement humain, à arpenter des couloirs bien linéaires, voilà qu'on se retrouve changé en lézard, tout frêle et sans aucun stuff. Voilà le vrai début de la quête. On n’en verra la fin qu’une fois ayant repris notre forme initiale, car seul le dernier boss du dernier stage possède l'item permettant cette prouesse. Évidemment, il faudra vaincre tous ses sbires l'un après l'autre avant. Des dragons : qui en mourant nous octroient une transformation supplémentaire, ici appelées malédictions. Voilà enfin un JRPG qui se veut réaliste ! À quel moment se changer en bestiole est perçu dans notre société comme cool, fantastique, ou stylé de ouf ? Bah ouais, n'importe qui se ferait bien harceler et victimiser par ses camarades de classe, alors disons les termes ! Malédiction bien entacheuse de réputation, exactement. Après, comme dans
Altered Beast (bien mieux que dans
Altered Beast serait plus correct, mais je n'arrive pas à parler mal de ce jeu, il représente bien trop de choses pour moi), les métamorphoses s'accompagnent d'aptitudes bien utiles. Coller à des tuiles spécifiques en souris, nager sans limite sous l'eau en triton (un Piranha-Man officiellement, mais désolé c'est au-dessus de mes forces), détruire les blocs sous nos pieds en lion, et voler en faucon. Chacune permet d'accéder à de nouvelles zones, de dénicher des secrets supplémentaires, et de perpétuer la boucle de gameplay habituelle de tout RPG qui se respecte.

Dans mes souvenirs, on pouvait évoluer à notre guise dans un monde ouvert immense, et solutionner nos problèmes dans l'ordre que l’on voulait. Bon, il semblerait que pas du tout. D'ailleurs, j'ai parlé de chrono tout à l'heure, et il n'y en a jamais eu non plus. J'imagine que ma nullité aidant, j'ai inventé cette histoire de temps limité pour justifier mes échecs répétés, et j'ai fini par y croire moi-même. Facile de se convaincre de bouts de vie imaginaires, à sept piges. Quoique j'ai sans doute joué à Wonder Boy III plus tard qu’en 1992, vers un 94 bien tassé, voire même un 95 assez entamé, à pas loin de dix ans, donc. Ça devient déjà plus gênant ! On nous sert ainsi une fausse liberté là-dedans, mais j'aimais bien croire à un minimum de libre arbitre quand même. Le retour dans le village faisant office de hub central après chaque victoire contre un boss, la possibilité de switcher entre les animaux via des salles spéciales, l'équipement au potentiel de cassage de bouche de plus en plus élevé, que l'on trouve par terre ou chez les marchands (eux-mêmes changés en cochons, mais quel dragon ont-ils donc tabassé ?)... la recette fonctionne plutôt bien. Tiens, j'ai dû lire le Hobbit à la même période, car quand j'ai vu qu'on pouvait se procurer une armure et un bouclier en mithril, j'ai juste bavé de joie sur ma console. Voilà probablement pourquoi elle a cramé peu de temps après, d'ailleurs. Merci Tolkien, je vais aller baver sur ta tombe aussi pour voir. Il s'est avéré que le mithril dans Wonder Boy, ça ne vaut pas mieux que le fer rouillé dans
Vagrant Story. Dommage. Pour obtenir le meilleur stuff, il faut collecter des pierres spéciales, une par forme d'animal, ce qui changera le point d'interrogation du shop en jolie épée ultra vénère. On récolte aussi divers items et sortilèges, comme les boomerangs ou les tornades, ces dernières peuvent se débarrasser des monstres situés plus bas que notre avatar. Pratique, quand on ne sait qu'agiter notre arme devant nous, sur un seul plan, toujours à la même vitesse et selon le même angle. Pauvres petites sprites en 2D, ça ne devait pas être drôle tous les jours.

Si comme pour tous les jeux que j'ai testés durant mon enfance, les graphismes ne me dérangeaient jamais (à une ou deux ignobles exceptions près), je ne peux pas dire que j'apprécie beaucoup la DA aujourd'hui. OK, elle vaut toujours mieux que celle de
Mr. Nutz (frisson d'horreur accroché à mon dos actuellement, rien que de repenser à Ograoum Papas), et elle n'a rien à voir avec celle du premier Wonder Boy non plus, ce que je considère comme un compliment relativement énorme. Dans cet univers bigarré se baladent malgré tout des trucs assez crasseux, à commencer par nous-même, lorsqu'on adopte la forme de la souris. Il y a un truc dans les yeux qui me dérange, chez à peu près toutes les créatures, et notamment quand elles jouent leur animation de mort. Cela dit, à l'inverse, certains monstres me faisaient bien flipper, par exemple les fantômes sortant du sol, qui me faisaient penser aux blobs verts dans
Rick Dangerous 2. Et à l'instar de tout le monde, j'ai appris à haïr les nuages à lunettes de soleil qui digéraient très mal les piments habañeros. Qui ne leur a jamais hurlé d'aller manger leurs morts, à ceux-là ? Concernant les différentes zones, rien de bien extraordinaire. Je préférais la forêt, histoire de ne pas déroger à mes habitudes. Elle avait la classe quand même, avec un penchant pour les marécages qui m'a toujours beaucoup plu. La plage, le désert et les donjons renfermant les boss, ça reste convenu. Convenu mais pas moche du tout, et même plutôt joli. Avec un level design bien fichu aussi, hein, histoire de donner un sens à toutes nos malédictions. Le château du dragon final nous gratifie cependant d'une jolie vibe
Alex Kidd in Shinobi World, avec ses ninjas et samouraïs de partout. Enfin, le tuto se déroule dans une coursive de vaisseau spatial ultra futuriste. Passage que l'on emprunte de nouveau plus tard, une fois vite fait, j'imagine pour ne pas avoir créé des assets hi-tech pour rien. Malgré tout, les univers de Fantasy avec une base SF de civilisation hyper avancée mais disparue, on avait déjà vu aussi. Thorgal, la licence Might and Magic (et son
Heroes III qui devait obtenir à terme son château futuriste, mais en fait non)… et je m'arrête là avant de raconter nawak, parce que je maîtrise très mal mon sujet. Pour ceux qui connaissent Wonder Boy II, ça doit s'expliquer facilement. En tout cas, l'ambiance tient le coup. J'ai envie de dire bravo et euh… nan bah rien. J'ai fini.

Nouvelle plongée dans l’OST
Aux commandes de la B.O., Shinichi Sakamoto. Je ne connais rien de son travail, à part ce Wonder Boy. Pourtant, il a composé pour d’autres hits de la franchise, Monster Land, Monster Lair (vous savez, l'autre Wonder Boy III, parce que… bah j'en sais rien) et Monster World, ainsi que des jeux tirés de l’anime Neon Genesis Evangelion, donc ça ne peut être qu’un bon gars. Je n'ai pas décelé de différence entre la musique sur Master System et sur Game Gear. J'ai toujours pensé que les deux machines sonnaient pourtant différemment. Si quelqu'un me débunke ça un jour, sûr je mettrai un bout de temps à m'en remettre. Et un souvenir de plus à ranger dans les trucs inventés par une nostalgie qui ne cesse d'envahir mon espace vital. Quoiqu'il en soit, j'ai adoré tous les morceaux ! Et je les apprécie toujours beaucoup. Ils offrent tout ce que de la chiptune 8-bit peut proposer pour accompagner au mieux un RPG. J'ai déjà du rabâcher ça pour d'autres jeux, mais il y a de l'épique, du ténébreux, du lumineux, du mignon et du moins mignon là-dedans. Chaque atmosphère a droit à son morceau bien calibré, et ça fonctionne très bien. J'aimais trop retrouver le thème léger du village après une grosse bastonnade, elle me rassurait. Et même si la musique de la forêt me fait sacrément de l'œil, je lui préfère celle de la plage, plus galvanisante et positive. Ouais, ça m'arrive de faire autre chose que me vautrer dans les compos sombres en broyant du noir. Pas souvent, mais ça m'arrive.
Wonder Boy III : the Dragon’s Trap - Mind of a Hero - Sea Theme
Regrets ou pas ?
J'aimerais pouvoir affirmer que j'ai terminé au moins un Wonder Boy dans ma vie. Ça ferait classe, dans certaines conditions environnementales et sociales soigneusement étudiées. Enfin, terminé durant mon enfance, parce que dans ma vie tout court, aucune fierté à tirer de cet achievement (spoiler : je ne l'ai toujours pas fait). Je préfère me tricoter des objectifs inaccessibles pour mieux chouiner ensuite. Je crois que ce Wonder Boy précis ne récolte pas les meilleures louanges chez les connaisseurs de la licence. Mais moi je préfère celui-là, et de loin. Parce que je n'en ai pas connu d'autre ? Parfaitement ! Et alors ? C'est tellement plus marrant de se vautrer dans la mauvaise foi que de jouer les gens intègres et cohérents. En tout cas, tant que ça se cantonne au jeu vidéo rétro. Quel dommage d'avoir laissé tomber à la première galère, sérieux ! J'aurais pu demander à des potes de réfléchir avec moi, ou à mes voisins de m'amener après le passage qui me bloquait. Je ne peux même pas remplir une main en comptant les vieux jeux de rôle consoles que j'ai terminés ! Mais pire encore que tout ça ? Pourquoi ne pas avoir profité de mes nombreux séjours chez ma cousine pour booster ma culture Mega Drive ? Je me rappelle d'elle me montrant Tintin au Tibet, que j'ai snobé très fort, alors que je ne ratais aucune diffusion du dessin animé. Toejam & Earl 2, que j'ai décrété super naze, parce que pas en vue isométrique mal fagotée comme le premier ! ATP Tour Championship Tennis, que j'ai à peine regardé, alors que je faisais du tennis en vrai ! Et que j'adorais certains joueurs présents dans la cartouche !! Si jeune et déjà si méprisant, j'ai même réussi à zapper le reste de sa collection. Merci maman pour la transmission des ces belles valeurs que la condescendance et l'orgueil mal placé ! Mais… j'y pense seulement maintenant, ma cousine avait sans doute plein d'autres trucs à me faire découvrir aussi sur Game Gear ! Mille occasions se sont présentées, et pourtant je n'ai pas capitalisé dessus une seule fois. On a préféré discuter de sujets de la vraie vie, faire des chasses au trésor dans son abri de jardin rempli de bazar mystérieux, partir en vacances ensemble sans l'ombre d'une console à l'horizon, même. Quels individus sains d'esprit choisiraient cette voie ? Bah les gens sains d'esprit, justement. Ah oui, tiens, vu de cette façon, je peux déjà m'estimer heureux d'avoir mis la patte sur cette petite pépite de Wonder Boy. Voilà ! Voir ça comme une chance ! Le verre à moitié plein, nom d'une pipe en mithril ! Allez, pause sur la boucle nostalgique. Je vais plutôt lire Tintin au Congo… euh oulà non ! J'ai rien dit. Regarder du tennis, alors ? Sport de droite pourri par le fric ! Bouah ! OK, ne me reste plus qu'à écouter du gros son, en dansant comme un extraterrestre rouge à trois pieds.
